Vous reprendrez bien un peu de faux sucre

Je vais parler de deux articles pour lesquels mon niveau de compétence n’est pas optimal. Je suis néphrologue et pas diabétologue. Je pense avoir lu le premier assez attentivement pour en parler. Pour le deuxième je maitrise un peu plus.

Ce premier article est en accès libre sur le site de Cell. Chacun pourra ainsi se faire son opinion. Il s’agit du travail d’une équipe israélienne qui s’intitule « Personalized microbiome-driven effects of non-nutritive sweeteners on human glucose tolerance ».

La question posée est simple, est ce que les édulcorants modifient la tolérance glycémique?

Les édulcorants sont largement utilisés dans la population avec de nombreux aliments dit light. La discussion sur les effets bénéfiques ou maléfiques de ces compléments alimentaires est un vaste sujet. Je déclare un conflit d’intérêt intellectuel, j’ai tendance à penser qu’il faut éviter toute alimentation ultratransformée et qu’il faut au maximum faire sa cuisine soit même en privilégiant des apports riches en végétaux et plutôt un régime type méditerranéen. L’introduction de l’article fait bien le point sur la conflictualité du sujet édulcorant. Les auteurs en terme de volume de bibliographie ont trouvé plus d’article en défaveur de l’utilité de ces molécules qu’en leur faveur. Connaissant mal la littérature sur le sujet, je laisserai d’autres commenter si ils le souhaitent.

Le cœur de l’article est un essai randomisé sans aveugle qui va comparer la réponse glycémique de 6 groupes sur une période de 28 jours. L’inclusion a été difficile car il fallait que les participant ne consomment pas d’édulcorant du tout. Finalement ils ont inclus 131 personnes sans pathologie plutôt jeune (29,9 ans ans de moyenne), plus de femmes (65%) et avec des bilans parfaits. Il faut noter qu’on ne voit pas vraiment des valeurs comme on en a l’habitude. J’aurai bien aimé voir la créatininémie ou un DFG car c’est surtout ça qui va m’intéresser. Je fais confiance aux auteurs, il n’y a pas d’insuffisants rénaux, comme il n’y a pas de diabétique. Les participants vont consommer pendant 14 jours soit de la saccharine, soit du sucralose, soit de l’aspartame soit du stevia soit du glucose soit rien. On donne au participant 6 sachets qui leur feront consommer par jour, pour l’aspartame 0,24g soit 8% de l’apport acceptable quotidien & 5,76g de glucose, pour la saccharine 0,18g soit 20% de l’apport acceptable quotidien & 5,82g de glucose, pour le sucralose 0,102g soit 34% de l’apport acceptable quotidien & 5,898g de glucose, stevia (steviol glycosides) 0,18g soit 75% de l’apport acceptable quotidien & 5,82g de glucose, pour le glucose 5 grammes.

La glycémie sera surveillée par une mesure du glucose dans l’eau interstitielle. L’épreuve de tolérance glucidique sera faite à domicile avec cette technique de mesure toutes les 15 minutes après avoir ingéré 50 g de glucose en moins de deux minutes. Ils vont faire au total 9 tests de tolérance glucidique. Le nombre de données accumulés est très important, avec une grand variabilité de résultats entre les individus pour les tests à la baseline mais une assez bonne corrélation entre les tests. Le résultat majeur qui sera le plus commenté et critiqué est le fait que la tolérance glycémique est moins bonne durant la période de prise de deux édulcorants, la saccharine et le sucralose. Les auteurs ont analysé dans tous les sens les data et ils retombent toujours sur ce résultat. En pratique, quelques jours de consommation de saccharine ou de sucralose modifie votre tolérance à une charge en sucre. Un résultat très amusant est que l’insulinémie est seulement augmentée dans le groupe glucose sans édulcorant. Il n’y a pas d’autres modifications durant la période qui pourrait expliquer la différence de réponse au glucose observée. Il y a peu de doute que la saccharine et le sucralose ont un impact, du moins sur une courte période et chez des gens qui vont bien. Je ne sais pas pourquoi mais je pense que plus longtemps et chez des gens moins bien portants le résultat ne sera pas vraiment différent, mais en toute rigueur il faut faire le job pour y répondre. Dans le doute, j’éviterai ces deux édulcorants à ce stade du papier.

Comment ça marche? l’hypothèse des auteurs est que les édulcorants modifient le microbiome fécal. Alors qu’il n’y avait pas de différence entre les groupes au départ ceux qui consomment de la saccharine et du sucralose voit la composition de leur microbiote se modifier. La fonctionnalité du microbiome est modifiée pour les quatre édulcorants alors que les groupes glucose et rien n’ont aucune modification de composition ou de fonctionnalité.

C’est bien d’avoir trouvé des modifications du microbiome mais comment ça marche? Il faut trouver des métabolites dans le sang des patients dont la concentration bouge avec la supplémentation en édulcorant et qui sont corrélé à la tolérance glycémique. Le sucralose est celui qui modifie le plus le métabolome avec 9 qui augmentent et 3 qui diminuent sur l’ensemble de la population sucralose alors que les concentrations de ces métabolites ne bougent pas chez ceux ne prenant que du glucose ou rien. Un certain nombre de ces métabolites collent avec les modifications de fonctionnalité du microbiome observées. Le sucralose modifie la concentration de certains métabolites via son impact sur la flore intestinale. Pour finir avec le sucralose, ils ont comparé les métabolites qui bougent le plus et ceux qui modifient le plus leur réponse glucidique. 3 métabolites dont la sérine voit leurs concentrations augmentées avec la supplémentation chez ceux qui seront le plus intolérant au glucose par rapport à ceux qui n’ont pas de modification de la réponse glucidique.

Pour être honnête, ce qui m’a le plus intéressé est l’effet de la saccharine qui entraîne une augmentation de l’indoxyl sulfate une toxine urémique bien connue que nous étudions largement au sein du labo est qui est toxique pour l’endothélium. Ainsi la saccharine pourrait en plus d’être responsable d’une insulinorésistance être aussi responsable d’une toxicité endothéliale directe. J’aimerai bien avoir les taux d’IS observés.

L’aspartame n’entraîne pas de modification de la tolérance glucidique, quand on regarde les métabolites qui bougent on retrouve encore deux agonistes d’AhR, la kynurénine et l’indole-3-Acetate (mieux connu sous le nom d’indol acétique acide, IAA). Manifestement, les édulcorants modifient le métabolisme du tryptophane. La littérature récente nous donne peut être une explication sur la bonne tolérance glycémique de l’aspartame, c’est l’IAA qui pourrait augmenter la production de GLP1. L’analyse métabolomique, c’est vraiment intéressant.

Pour finir avec ce papier les auteurs, font de la transplantation fécale chez des souris qui conforte leur idée que les édulcorants, c’est pas génial pour le bilan glucidique surtout le sucralose.

Après avoir lu ça, vous allez dire c’est pas grave moi je ne consomme pas ces trucs mais des polyols uniquement et surtout de l’erythritol. Un article récent vient vous dire mauvaise pioche. Cet article montre que ce polyol est associé au risque de faire un événement cardiovasculaire majeur dans trois cohortes indépendantes et ça résiste à l’ajustement avec en plus un effet dose. Plus vous avez d’erythritol circulant plus vous augmentez votre risque de faire un infarctus ou un accident vasculaire cérébral.

Ensuite les auteurs montrent que les concentrations d’erythritol retrouvées chez les patients, in vitro activent les plaquettes et favorisent l’agrégation plaquettaire. Ils utilisent un modèle in vitro de formation du thrombus plaquettaire qui conforte ces résultats et chez la souris la prise de cet édulcorant entraîne une occlusion plus rapide de la carotide après exposition au chlorure de fer.

Enfin, chez des volontaires sains, la prise de 30 g de ce prothrombotique entraîne une augmentation des concentrations circulantes (au delà des concentrations utilisées dans les manip plaquettes) et ce pendant 24 à 48 heures. 30 g c’est une portion de glace ou un portion de boisson contenant cette magnifique molécule. Quand on sait que l’erythritol est éliminé à 80% par le rein, je n’ose pas imaginer les concentrations obtenus chez les patients avec une maladie rénale chronique.

Les données de cet article montrent de façon robuste un effet délétère de cet édulcorant sur la fonction plaquettaire. La principale cause de décès chez les patients diabétiques est cardiovasculaire, on peut se demander si il est bien raisonnable de conseiller l’utilisation d’aliments contenants de l’erythritol surtout si il y a une pathologie coronarienne ou des lésions vasculaires.

Ces deux articles méritent de voir leurs résultats répliquaient mais le signal d’alerte est là sur les édulcorants et il est difficile de l’ignorer en terme de santé publique. J’aimerai bien doser l’erythritol chez des patients avec une maladie rénale chronique pour voir si nous pourrions le rajouter à la liste des toxines urémiques. Enfin concernant les dérivés du tryptophane, je suis convaincu que c’est un sujet très important pour comprendre certaines complications et certains aspects bénéfiques de notre alimentation.

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