Vincent Lambert est mort aujourd’hui. J’ai vu des messages s’en réjouissant. Je les trouve indécents, comme j’avais trouvé choquante l’ambiance de victoire de la coupe du monde lors d’une décision judiciaire bloquant le processus d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. Je n’ai pas vraiment suivi cette histoire, où se joue certainement des choses compliquées au sein de la famille. De cette histoire singulière, certains se sont saisis pour défendre une position ou l’autre. Ils l’ont utilisé à qui mieux mieux pour leurs agendas politiques. Ceci n’a pas du aider les non dits familiaux. Le camp parental ne m’inspire aucune sympathie, vraiment aucune. Le camp médical auquel je m’identifie très bien pour avoir eu à m’occuper d’une histoire pas très éloignée pendant quelques années, m’est beaucoup plus proche. Ceux qui pensent qu’un bout de papier avec des directives anticipées régleront tous les problèmes sont de grands naïfs et devraient aller un peu avec les équipes se chargeant du prélèvement d’organes.
Je pense à ses parents. A ce moment où on annonce la mort de ton enfant. Je connais les deux places, je n’en aime aucune, la place de l’annonceur est plus facile. Je ne peux m’empêcher de m’identifier à eux, à leur volonté de ne pas voir mourir leur enfant. Je ne sais pas ce qui les à pousser. Cette histoire me renvoie à ce que je ferai si j’étais à leur place.
Il est très facile quand tout va bien d’avoir des grandes idées, très arrêtées, bien claires, bien propres sur elles, bien dans l’air du temps. Quand arrive le drame, les compteurs se remettent à zéro, vous devenez un autre. Toutes vos belles convictions s’effondrent, balayées par la peur du vide, la peur de l’absence. Vous donneriez n’importe quoi pour que la personne aimée reste encore un peu. Pour dépasser ce stade, il faut, je pense, avoir bien discuté avant, être sur des convictions de l’autre, pas juste une phrase mais avoir vraiment parlé du: « que désires tu si il t’arrive quelque chose, si tu es en mort encéphalique (concept pas si évident que ça), si tu as un niveau de conscience limitée, si, si, si… » Pas facile de parler de ça, mais indispensable, pour aider celui qu’on aime quand il sera confronté à la situation. J’imagine que la prise de décision est un peu plus simple quand les choses ont été discutées, anticipées, et encore je n’en suis pas sur. J’ai conscience de la fragilité de nos convictions face au tsunami qu’est la mort de l’enfant. Anticiper, imaginer le pire est mon métier, la vie a renforcé cette tendance. J’ai aussi appris à connaître ma fragilité. Je ne risque pas de donner de grandes leçons ou prendre de grandes postures. J’aimerai juste que chacun soit humble face à ces convictions sur ce sujet, la mort aussi bien la sienne, que celles des autres. La vie a un goût exceptionnel, c’est bon de vivre, plus je vieillis plus je trouve que c’est génial. Je n’ai aucune idée de ce que je ferai si j’avais une maladie grave. Je n’ai aucune idée de ma réaction, la seule chose que je sais est que mon opinion actuelle, ce que je pourrais imaginé maintenant, homme en bonne santé, face à une situation clinique ne vaudra rien quand je sentirai le souffle de la camarde sur ma nuque. Ce qui ne m’empêchera pas d’en parler.
Je ne peux pas me réjouir de la mort d’une personne. Je pense à ceux qui restent à ce déchirement de l’absence. Voilà pourquoi, alors que je trouvais détestable le combat des parents de M Lambert, en ce jour, je compatis à leur souffrance d’avoir perdu un enfant. J’aimerai leur dire que poursuivre les médecins, l’état ne leur rendra pas leur Vincent. Je suis convaincu que le combat judiciaire n’a rien de cathartique, je crois même qu’il bloque le processus du deuil. Il empêche d’avancer, de vivre avec cette absence, car nous n’avons pas le choix.
Avant que la mort n’arrive, pensez à dire aux gens que vous aimez, « je t’aime ». Après, il sera trop tard et comme disait Pierre Dac: « Rien ne sert de penser, faut réfléchir avant. »
Vincent Lambert n’était plus un enfant mais un adulte de 42 ans.
Peut on encore parler de lui en terme d’enfant?
De fils oui, mais d’enfant?
Sans alors nier sa qualité d’adulte ?
Merci pour cet article. La mort est évidemment toujours un échec. Même à 42 ans un fils reste un enfant pour ses parents, il est tout ce qu’ils ont vécu avec lui.
Vous écrivez :
« Je suis convaincu que le combat judiciaire n’a rien de cathartique, je crois même qu’il bloque le processus du deuil. » Je suis tout à fait d’accord.
Par parallèle le « droit au procès » lorsque le coupable n’est pas considéré comme responsable des ses actes est une vaste farce, la justice n’est pas un hôpital et elle ne soigne personne, ce n’est pas sa mission.
Il suffit, dans un registre bien moins grave, d’avoir vu comment les salariés souffrent aux prud’hommes alors qu’ils sont persuadés qu’ils vont se venger de leur employeur… Même s’ils gagnent, ils en sortent essorés.
« La mort est évidemment toujours un échec » voici une phrase absurde.
Du même calibre que tout acharnement thérapeutique ou la mortalité comme critère principale de jugement.
Personnellement, j’espère garder la possibilité de ne pas priver mon patient de mourir, ou de ne pas lui refuser un traitement au seul prétexte qu’il ne lui prolonge pas la vie!
Merci de ce jugement tout en nuances. C’est une phrase incomplète, je vous le concède. Il aurait fallu préciser quelque chose comme « la mort d’un être trop jeune pour mourir », ou quelque chose comme ça. Et, au moins autant que la mort, c’est probablement la souffrance qui est un échec.
Puisque vous semblez aimer les aphorismes :-), Woody Allen (je crois) disait : « l’éternité c’est long, surtout vers la fin ». Evidemment, la mort est une nécessité. Que l’on nous préserve à jamais de la souffrance infinie de l’immortalité !
Simplement Merci pour ce texte.
Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous. car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.
Khalil Gibran
Le prophète
Gibran est marrant. Quand nos enfants meurent ils n’habitent que notre passé. Ils ne nous restent que des possibles non advenus. Ils n’habiteront jamais les maisons de demain sauf dans nos ames. La vie avance et c’est la grandeur de l’homme être se voulant hors nature de capter le passé.
La pensée de Gibran résiste mal à certains accidents de la vie.
Je préfère Dac.
Gibran écrit : « Vous pouvez leur donner votre amour. » – je pense qu’il dit beaucoup par cette petite phrase : comment donner l’amour quand on est confronté à l’absence…
bonjour stéphane;. je ne savais meme pas que des gens s’étaient réjoui. l’affaire a été surmédiatisée à l’indécence.. et cela continue.
Je pense exactement comme vous.
Encore faudrait-il que quand la décision est réfléchie discutée et partagée avec la famille, formalisée dans les directives anticipées elle soit acceptée par les médecins.
Ce n’est pas toujours le cas.
Et cela incite des suicides qui pourraient être évités.
Quand enfin serons nous considérés comme des adultes responsables ?
Merci pour ce que vous avez si bien dit.