La COVID-19 est dans sa cinquième saison en France, un feuilleton avec des épisodes qui se ressemblent tous, seul le héros grec change.
J’aimerai souligner à quel point cette maladie illustre la puissance de la biomédecine moderne. Il y a deux ans personne ne connaissait cette entité et nous avons maintenant son tableau clinique à peu près complet, des idées sur la physiopathologie des formes graves. Nous avons amélioré la prise en charge des patients et surtout nous avons des vaccins et des anticorps monoclonaux contre la bête à picots. Il n’y a aucune pathologie dans l’histoire humaine qui a été aussi vite identifiée et pour laquelle des approches thérapeutiques ont pu être aussi vite testées avec un certains succès. La science est très impressionnante quand on lui donne des moyens. Par contre, comme toujours en médecine, nous avons un temps de retard. Il est difficile de prédire l’évolution. L’omicron est un bel exemple de la force de ce processus au cœur du vivant. Nous avons une belle preuve que l’évolution n’est pas une théorie mais une réalité.
Avec ce nouvel épisode, nous revoyons les patients non vaccinés ou qui n’ont malheureusement pas répondu à la vaccination être hospitalisés et aller en réanimation. Comme avec les autres, nous réentendons les discussions sur l’efficacité des mesures, nous revoyons la mobilisation dans les hôpitaux, les fermetures de lits pour dégager du personnel, les internes qu’on va envoyer faire du COVID plutôt que de se former à leur métier, etc. Ce qui domine, immense lassitude. Nous sommes fatigués et je crains que nous ne finissions épuisé. Nous avions, au moment de la première vague, vécu un moment étonnant, les médecins avaient repris la main, car il fallait jouer avec l’incertitude, ce qui est au cœur du processus de soin. L’administration nous suivait, facilitant la lutte contre cette nouvelle maladie, c’était un moment intéressant, l’impression que pour une fois on nous faisait confiance pour organiser la prise en charge au mieux. Nous tirions dans le même sens. Il y avait quelque chose d’émouvant dans cette union et un message d’espoir pour l’avenir.
Certains avaient espéré que le politique avait compris que pour soigner il fallait des êtres humains. Et puis, le business est revenu « as usual ». On nous a agité un hochet, le Ségur, et puis on a continué à fermer des lits, à rogner sur le personnel. La logique qui existe depuis 20 ans était de retour, moins d’activité donc vous avez besoin de moins de personnel, et puis de toute façon il n’y a plus d’infirmières et d’aides soignante, vous croyez quoi. Débrouillez vous, travaillez plus, bande de fainéants. Le mantra de la rationalisation était de retour. On confondait encore le processus de soin avec une chaîne de montage ou avec un avion. Le temps du « on vous fait confiance » était évanoui, le temps de la défiance était de retour.
Les saisons du feuilleton COVID ont épuisés de nombreuses personnes pour des raisons diverses et variées. Elles s’en vont, elles quittent le boulot, elles vont faire autres choses ou travailler en cherchant des endroits moins maltraitants que l’hôpital public. On nous serine l’importance de la bienveillance et de la non malfaisance pour la prise en charge des patients. Ceci devrait s’appliquer aussi aux personnels des hôpitaux publics, nous aimerions un peu de bienveillance et de confiance pour mettre en place des soins de qualités. Le soin demande du temps. Il faut donner du temps à l’autre, l’homme ou la femme malade se plie mal à la logique d’un entrepôt Amazon. C’est de l’humain avec toute sa complexité, ses comportements irrationnels et sa beauté. Une consultation pour essayer de convaincre de faire un vaccin prend du temps si on veut bien la faire, elle demande de l’énergie, un peu de savoir faire, nous demander de faire toujours plus en moins de temps est irréaliste. Nous sommes au maximum de ce que nous pouvons faire. La perte de sens est la pire des maladies qui puisse toucher le soignant. L’impression de mal faire son travail est destructrice. Il est facile de prendre des décisions quand on est loin du patient, quand on n’est pas confronté à la peur, à l’angoisse. Les soignants doivent faire face à ça et encore plus en ces temps de COVID-19 qui tue. Nous demandons juste un peu de respect, un peu de confiance, le terrain a un savoir faire, il faut l’écouter. Pour soigner des êtres humains rien ne remplacera un autre être humain, bien formé, en forme, à qui on donne les coudées franches pour exprimer son potentiel.
Alors que nous voyons la vague géante d’Omicron montée, montée, qu’il n’y a plus de place en réanimation, que nous jonglons avec les besoins en hospitalisation, j’ai peur que le système public ne survive pas. A la fatigue succédera l’épuisement et je crains que nous ne nous en relevions pas. Je me demande si ce n’est pas l’objectif. Pousser à bout les soignants, pour finir d’achever l’hôpital public à la française, système loin d’être parfait mais qui n’est pas si mauvais que ça.
Bonne fin d’année quand même.