Moins c’est plus, une nouvelle définition de l’hypertension artérielle

L’hypertension artérielle (HTA) est un facteur de risque cardiovasculaire majeur. Le niveau définissant la valeur normale de la pression ou tension artérielle (TA ou PA) est régulièrement revu. Hier, la dernière mouture a été publiée dans le journal hypertension. Commençons par ce qui fait hurler certains, dans la lignée de nombreux travaux scientifiques, le comité de rédaction a revu les limites à partir des quelles nous parlerons d’HTA. Comme vous pouvez le voir, quatre stades sont reconnus pour parler de pression artérielle:

  1. La tension artérielle normale est définie par une TA systolique inférieur à 120 mm d’Hg et une TA diastolique inférieure à 80 mm d’Hg.
  2. La tension artérielle élevée est définie par une TA systolique entre 120 mm et 129 mm d’Hg et une TA diastolique inférieure à 80 mm d’Hg.
  3. L’HTA de stade 1 est définie par une TA systolique entre 130 et 139 mm d’Hg ou une TA diastolique entre 80 et 89 mm d’Hg
  4. L’HTA de stade 2 est définie par une TA systolique supérieure à 140 mm d’Hg ou une TA diastolique supérieure à 90 mm d’Hg

Vous êtes hypertendus si votre TAS dépasse les 130 mm de mercure. Ceci va augmenter de façon plus que significative le nombre de patients hypertendus, presque la moitié de la population américaine va être hypertendue (45,6% soit 103 millions de personnes). Est ce que tous les hypertendus vont devoir prendre un traitement médicamenteux? Non, « seulement » 36,2% (82 millions) le devront prendre, les 9,4% restant devront suivre des règles hygiéno-diététiques. Par rapport aux dernières recommandations (JNC7), le nombre d’hypertendus augmente de 10%. La raison de cette augmentation spectaculaire? Deux articles, essentiellement, sont responsables et résument bien la philosophie des recommandations, SPRINT et une méta-analyse du Lancet de 2014.

La question qui vient est faut -il suivre ces recommandations, du moins en terme de définition et au delà d’objectifs tensionnels? Comme pour toute la médecine basée sur les preuves, ceci dépendra du patient en face de vous. Je crois que donner cette définition avec un chiffre bas, peut être intéressant pour discuter de la mise en place des mesures non médicamenteuses et donner de la motivation au patient pour les suivre. Elles sont listés dans le tableau suivant (pour les références vous irez voir l’article d’hypertension).

Approche non pharmacologique pour réduire la pression artérielle

Intervention Objectif

Impact

Hypertendu Non hypertendu
Perte de poids Diminution de 1 mm Hg par diminution de 1 Kg de poids -5 mm Hg -2/3 mm Hg
Régime DASH Régime riche en fibres, fruits végétaux. -11 mm Hg -3 mm Hg
Régime limité en sodium Moins de 1,5 g/jour -5/6 mm Hg -2/3 mm Hg
Régime riche en potassium Plus de 3,5g/jour -4/5 mm Hg -2 mm Hg
Exercice physique Aérobie : 90-150 mn/semaine -5/8 mm Hg -2/4 mm Hg
Réduire sa consommation d’alcool Homme<3verres/j

Femme<2 verres/j

-4 mm Hg -2 mm Hg

Je vois ce chiffre comme un moyen de motiver les patients, à maigrir, mieux manger, faire de l’exercice physique et réduire leur consommation d’alcool et bien sur arrêter de fumer. Est ce que je vais bombarder mes patients pour tous les mettre sous les 130/80 comme recommandé? Pour calculer le risque CV, c’est ici.

Clinique Seuil de traitement, mm Hg Objectif pression artérielle mm Hg
Général
Pathologie cardiovasculaire ou risque CV>10% à 10 ans ≥130/80 <130/80
Pas de pathologie CV et risque CV<10% à 10 ans ≥140/90 <130/80
Personnes âgées (>65 ans ambulatoire) ≥130 (TAS) <130 (TAS)
Comorbidités
Diabète ≥130/80 <130/80
Maladie rénale chronique ≥130/80 <130/80
Insuffisance cardiaque ≥130/80 <130/80
Coronaropathie stable ≥130/80 <130/80
Prévention secondaire AVC ≥140/90 <130/80
Prévention secondaire AVC (lacune) ≥130/80 <130/80
AOMI ≥130/80 <130/80

Je ne crois pas. J’ai peur de la détérioration de la fonction rénale, j’ai peur de l’hypotension orthostatique, de la lassitude thérapeutique (trop de médicaments tue le médicament). Lutter contre l’HTA violemment alors que l’entrée dans la salle de consultation se fait avec une bonne odeur de tabac me parait un peu ridicule. Rajouter encore des molécules, alors que la prise de poids se fait régulière au fil des années, me parait une course sans fin un peu vaine. J’ai probablement tort.

Par contre, je tendrais vers le plus bas possible dès que les conditions me paraitront favorables et surtout que le patient sera motivé et convaincu. C’est ma modeste façon de faire de l’EBM. Je suis convaincu de la pertinence de ces recommandations mon rôle est de pouvoir les appliquer de façon raisonnable en accord avec le patient.

Je vous recommande la lecture de ces reco, qui sont vraiment bien faites avec des rappels importants sur les mesures non médicamenteuses. Il y a plein de petites choses par ailleurs très utiles, comme ce rappel sur comment prendre la pression artérielle ou sur la correspondance des valeurs entre prise au cabinet et prise à domicile.

Comparaison mesure clinique et auto mesure à domicile

 

Clinique

Auto mesure domicile

PAS/PAD (mm Hg)

120/80

120/80

PAS/PAD

130/80

130/80

PAS/PAD

140/90

135/85

PAS/PAD

160/100

145/90

 

Sur les molécules à utiliser, pour le stade 1, il conseille thiazidique ou calcique ou bloqueur du SRAA en première intention, pour le stade 2, il recommande une bithérapie d’emblée. Les auteurs fournissent un arbre décisionnel pour les indications du traitement.

Le document revient sur l’HTA résistante et l’importance d’une bonne observance au traitement avant de porter ce diagnostic. L’approche diagnostique sur les HTA secondaires est claire. C’est une vraie mine d’information.

Concernant l’observance, la FDA vient d’accorder une autorisation de mise sur le marché, à un médicament « digital ». Il s’agit d’un neuroleptique, mais on peut tout à fait imaginer le même principe avec le traitement antihypertenseur. En pratique, la molécule ingérée envoie un signal quand elle arrive dans l’estomac. La version big brother du traitement médicamenteux, je redoute le moment où je recevrais des alarmes sur mon téléphone ou mon ordinateur m’annonçant que monsieur untel n’a pas pris ce matin son IEC ou son diurétique. Il ne manque que la décharge électrique pour rappeler au patient d’être un bon malade… J’ai comme un pressentiment que c’est l’avenir de la prescription.

Après avoir fait l’apologie de ces nouvelles recommandations, je vous conseille de prendre un peu de recul en lisant un article aussi publié hier. Il s’agit d’une méta-analyse s’intéressant à la question à partir de quel niveau de pression artérielle est il utile de diminuer la pression artérielle?

74 essais, plus de 306000 patients et la réponse est simple, en prévention primaire pour réduire la mortalité, il faut traiter des patients avec des TAS supérieure à 140 mm d’Hg. Traiter des patients avec des TAS inférieures à 140 mm d’Hg ne dégage pas de bénéfice.

J’ose même pas vous parler de l’effet sur le rein.

Cet article montre un bénéfice sur la survenue de certains événements cardiovasculaires, en prévention secondaire, en post infarctus, de la mise en place d’un traitement pour une valeur initiale inférieure à de 140 de TAS, sans effet sur la mortalité. Il est toujours amusant de voir des différences de conclusions aussi manifestes alors que la littérature et la même entre les deux articles.

Pour ma pratique, je retiens que viser des TA inférieures à 130/80 pourraient être intéressants mais en faisant attention aux effets secondaires et pour l’initiation du traitement médicamenteux je m’en tiendrais à un 140 mm d’Hg de TAS. Par contre, maigrir, manger moins saler, faire de l’exercice régulier, ne pas prendre n’importe quoi comme médicament ou complément alimentaire (bannir les AINS), me parait une bonne stratégie à appliquer à l’ensemble de la population.

 

Ce contenu a été publié dans Medecine, Néphrologie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

11 réponses à Moins c’est plus, une nouvelle définition de l’hypertension artérielle

  1. nfkb dit :

    Merci pour cet article clair.
    Par ailleurs, avais tu vu les réflexions de ce chercheur sur la consommation de sel ? https://mobile.nytimes.com/2017/05/08/health/salt-health-effects.html? est-ce une nouvelle porte d’entrée dans le monde de la paranoïa ou est-ce qu’il y a de la phyiopath’ velue à démêler ?

  2. Siary dit :

    le rapport sur sel et HTA publié il y a une douzaine d’année par Joel Ménard objectivait le lien entre consommation de sel, niveau de la PA et AVC . Considérant que la majorité des personnes faisant un AVC ont une PA systolique > 115 , mais pas de HTA à proprement parlé, il était recommandé de réduire le sel de 20% dans l’alimentation : fromages, charcuterie, pain, conserves, plats cuisinés etc . Cet effort ne nécessitait pas d’agir sur le consommateur lui-même , évitant la surmédicalisation de la vie quotidienne ,mais auprès des industriels et des artisans .
    Malheureusement ces propositions qui auraient un impact sur la santé publique ne sont pas appliquées .

  3. Dr MG dit :

    N’y-a-t-il pas une erreur ?

    « La tension artérielle élevée est définie par une TA systolique entre 120 mm et 129 mm d’Hg et une TA diastolique inférieure à 80 mm d’Hg. »

    Une diastolique à 70 serait une tension artérielle élevée?

  4. Pouss dit :

    Entrez votre commentaire…pourquoi vous dites que vous avez peur de l’hypotension orthostatique?

  5. Merci pour cette synthèse. Ce qui me frappe, c’est que dans l’étude SPRINT, il s’agit d’automesure. Or, malgré mes tentatives pour optimiser la prise de tension au cabinet (je vais jusqu’à faire lire un magazine à mes patients pour les distraire de l’effet blouse blanche), je constate très fréquemment des écarts importants entre l’automesure et les chiffres du cabinet.

  6. Faye dit :

    Bonsoir et merci pour cette synthèse. Est-ce que vous pouvez partager la référence de la méta-analyse.

  7. LENOIR dit :

    Bonjour
    Votre ARTICLE est très intéressant mais je ne suis pas convaincu par les chiffres des médecins américains.
    Pour plusieurs raisons :
    – D’abord économiques : objectivement on ne peut que tiquer lorsque l’on donne à la moitié adulte d’un pays un statut de « malade » (même s’il faudrait en réalité parler de facteur de risque) dont la majeure partie finira par être traitée par médicament. Cela ressemble plus à une extension d’un marché porteur qu’à une analyse scientifique (d’ailleurs, si l’on était complet lorsque l’on parle d ‘hypertension, on devrait aussi indiquer le chiffre d’affaire qu’elle génère et le bénéfice rapporté par chaque malade).
    – sur la méthodologie ensuite : l’étude SPRINT n’apparaît pas du tout convaincante dans la mesure où souffre de nombreux biais s’agissant des conditions de mesure. De plus, on ne peut qu’être réticent s’agissant de sa fin anticipée : cela rappelle celle menée sur les effets supposés bénéfiques du Valsartan il y a quelques années.
    – Enfin, je ne comprends toujours pas pourquoi la tension est considérée comme élevée au cabinet à 140/90 et seulement à 135/85 en automesure (130/80 si l’on suit désormais les médecins américains). Une pression reste une pression avec les mêmes effets sur les artères quelle soit la façon dont on la mesure. Je sais bien que l’on veut faire croire que l’étalon de mesure est faussée par la présence du médecin mais alors pourquoi parle-t-on aussi d’hypertension cachée (celle qui est normale au cabinet et élevée en automesure) et pourquoi ne la prend-t-on pas en compte ?
    Je ne nie pas l’existence des dangers de l’hypertension mais je ne suis pas convaincu que vouloir rendre tout le monde malade pour procéder à une consommation inutile de médicaments soit idéal pour la santé.

    Cordialement

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.