La médecine est une pratique éminemment humaine. Les médecins sont des hommes. Comme tout être humain, ils font des erreurs, graves, bénignes, de portée dramatique ou sans conséquence aucune.
Hier, j’ai écouté le discours le plus intelligent sur les erreurs en médecine qu’il m’ait été donné d’entendre. C’est une TED conférence par brian Goldman. Si vous ne comprenez pas la langue de Tolkien, vous pouvez mettre les sous-titres en français. L’écoute ne vous prendra que 18 minutes, mais elle vous en apprendra plus sur la médecine que de longs traités. Vous n’êtes pas obligé de poursuivre votre lecture, mais regardez la vidéo.
Nous avons, nous faisons, nous ferons tous des erreurs. On (dans le on je m’inclus) nous a appris à les cacher, à les taire, à nous comporter comme des autistes face à elles. Nous ne les voyons pas, nous ne les appréhendons pas dans leur complexité, nous ne voulons pas les comprendre et apprendre. Nous vivons dans un monde fantasmatique du zéro erreur, zéro risque. Il n’est qu’un rêve ce monde sans risque.
Nous nous trompons, nous nous sommes trompé, nous nous tromperons. Ce n’est pas rassurant, hein, mais c’est la vérité. Nombreux sont ceux qui rêvent à la disparition de tout aléa. Je fais partie de ces gens. J’ai toujours voulu minimiser les risques pour les gens qui me confieraient leurs vies, alors j’ai beaucoup travaillé à la faculté. J’ai cru et je crois toujours, que plus j’accumulerai de savoir moins j’exposerai les patients à un risque. Plus nous sommes compétents, plus nous sommes savants, plus nous sommes précautionneux, plus nous attentifs, meilleurs nous sommes pour nos patients. Il n’empêche, vous ne serez jamais à l’abri d’un erreur. Distraction, fatigue, soucis, méconnaissances, peur de passer pour un crétin, honte de demander un avis, mais surtout sureté en soi. Toutes mes erreurs viennent de là, un moment de certitude. En médecine, le jour où vous êtes sur de vous, posez vous, réfléchissez deux fois plus, doutez de vous même, souvent vous éviterez une jolie connerie. N’espérez pas être dans le confort intellectuel en faisant ce métier. Le confort est la voie royale vers l’erreur.
En sachant que nous sommes faillibles, en sachant que nous sommes prompts à l’erreur, nous pouvons progresser. Je me souviens très bien du jour où je me suis décidé à viser l’excellence. C’était en quatrième année de médecine, le lendemain des examens de gastro-entérologie, je n’aimais pas beaucoup ça. Je craignais de m’être trompé dans ma réponse. Je n’arrivais pas à m’endormir, je tournais, me retournais. J’ai cherché à comprendre pourquoi je ne trouvais pas la paix. La réponse est apparue comme une évidence. Comment puis je soigner des gens si je ne suis même pas capable de soigner du papier? Je me suis lever pour travailler et ça ne m’a plus lâché. De ce jour, j’ai toujours voulu avoir le bon diagnostic, ne pas me tromper, toujours trouver, et quand je me plantais, j’en étais malade. Cette angoisse a failli me faire arrêter je ne sais combien de fois ce métier.
J’ai toujours eu peur et j’ai encore peur de me tromper, de me planter. Je fais tout pour réduire ce risque. Et pourtant malgré mes précautions, mon savoir, je fais des erreurs. Elles me minent, je ne supporte pas de mettre l’autre en danger. Avec le temps, j’ai appris à vivre avec ça, en le taisant. Ce n’est pas un bon choix.
Il n’y a pas deux sortes de médecins, ceux qui se trompent et ceux qui ne font jamais d’erreurs. C’est faux. C’est la plus grande connerie du monde médical que de le croire. Accepter que nous sommes faillibles pour le devenir moins. Le patient joue un rôle important.
Il est essentiel, il nous dit:
» Tu es sur que tu ne te trompes pas ? Tu es sur que ton choix est le meilleur pour moi? ».
C’est peut être ça le patient idéal, le patient expert. Il te fait confiance, mais de façon critique. Pas l’aveuglement devant le savoir du Docteur, ni la suspicion systématique devant toutes décisions, non un juste milieu que j’appellerai la confiance critique.
Pour que cette approche fonctionne, la bienveillance réciproque doit être au cœur du processus de soin. Tu es humain, tu as peur pour ta vie, je le comprends, je l’accepte, je vais tout faire pour te soigner du mieux possible. Tu es humain, tu peux te tromper, je l’accepte, tu ne sais pas tout, de moi, de ma maladie, je suis là pour t’aider à trouver la meilleure solution à mon problème.
L’erreur ne doit pas être un tabou, mais intégrée comme un phénomène normal. L’analyse de ses conditions de survenue doit limiter les risques qu’elle ne se produise et surtout se reproduise. Nous devons apprendre de nos erreurs. Pour apprendre de nos erreurs, nous devons les partager.
Dire nous faisons, nous avons fait, nous ferons des erreurs n’a pas pour but de minimiser leur portée ou de dédouaner leurs auteurs. L’objectif est d’analyser ses origines pour éviter la suivante.
Charité ordonnée commence par soi même, je vais vous raconter une de mes erreurs.
Il a une trentaine d’années, depuis dix ans, il vit avec un syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes. Il n’a pas de chance, il est rechuteur fréquent. Il est très corticosensible, mais ne supporte plus la cortisone. Alors il a fallu trouver un traitement qui lui convient. Il n’aime pas l’hôpital, les médecins, il en a assez d’être malade. Alors il arrête régulièrement son traitement et il arrive en catastrophe car les chevilles enflent, car le visage est bouffi, car il a pris 12 kgs en deux jours, car il ne pisse plus. Toujours entre deux, jamais au rendez vous, il est comme ça. Sa famille ne l’aide pas beaucoup à se stabiliser, le pauvre, il est malade alors on lui passe tout. On discute, et je lui explique que c’est une maladie potentiellement grave le syndrome néphrotique. Il répond toujours à la reprise du traitement sans cortisone. De toute façon, il ne veux pas en prendre.
Le syndrome néphrotique se caractérise par la perte de protéines dans les urines et une diminution de l’albumine dans le sang. La complication principale du syndrome néphrotique est la thrombose veineuse profonde (la phlébite). Il y a une hypercoagulabilité qui favorise le risque thrombo-embolique surtout quand l’albumine est inférieur à 20 g/l.
Ça fait six mois que je ne t’ai pas vu. Je sors de la consultation, tu es là, le visage bouffi, fatigué, les jambes comme des poteaux. Ce n’est pas la première fois que je te vois ainsi. Non pas la première. Tu as encore arrêté le MMF et tu rechutes. Je sais que tu réponds vite à la reprise du traitement. Je fais une ordonnance pour ton meilleur ami que tu aimes tant arrêter. Je fais un bilan, tu as 21 g/l d’albumine et 15 g de protéinurie. Je ne suis pas inquiet. Tu repars. Tu reviens trois jours plus tard, les œdèmes se sont aggravés. Tu as repris ton traitement mais pas d’effet. Tu es gêné par la surcharge hydro-sodée, je rajoute des diurétiques.Tu n’as pas ton bilan, évidement. Je te demande si tu ne veux pas prendre un peu de corticoïdes, pour que ça aille plus vite. Tu vas réfléchir. Je te laisse partir, sans faire de bilan.
Je ne suis pas à l’aise, j’aurai bien aimé que tu prennes un peu de cortisone. Cinq jours plus tard, ton père m’appelle. Tu as fait une embolie pulmonaire bilatérale sans phlébite. Tu as failli mourir. Tu es hospitalisé dans une autre structure. J’appelle le service. Tu vas mieux. Je conseille de rajouter des corticoïdes. A l’entrée tu avais 15 g/l d’albumine. Je m’en veux.
J’ai fait une erreur, en fait plusieurs. La plus évidente est de ne pas avoir mis en place un traitement anticoagulant. Manifestement, tu ne répondais pas comme d’habitude, ça trainait. La deuxième, je n’ai pas fait de bilan pour vérifier ton albumine. Je m’en veux. Je savais que tu risquais la thrombose, je le savais. Troisième erreur, la mère des deux premières, je me suis cru trop fort. Je croyais trop bien te connaitre toi et ta maladie. Je m’en veux. J’ai été trop facile, trop sur de moi et ça ne loupe pas.
Je peux toujours dire, tu l’as bien cherché, tu arrêtes ton traitement comme ça, tu ne fais jamais les choses dans les règles, tu, tu, tu… Le problème en fait, c’est moi, moi qui est le savoir, moi qui connait les risque et qui ne prescrit pas l’anticoagulation dont tu avais besoin. Je m’en suis voulu, beaucoup, énormément. Je m’en veux encore d’avoir mis ta vie en danger. Je m’excuse.
J’ai fait une erreur, elle m’a rappelé que dans ce métier, il ne faut jamais céder à la facilité. Une piqure de rappel en somme, être professeur ne protège pas des fautes, malheureusement. Je suis toujours cet étudiant de quatrième année, anxieux de ne pas connaitre toute la médecine, pour soigner celui qui est derrière la porte et qui attend. Deux décennies ont passé et j’ai toujours peur de me tromper. La différence, j’ose en parler. N’ayez pas honte de vos erreurs, partagez les, analysez les, corrigez les causes et ne vous endormez jamais sur vos lauriers. Le réveil est toujours douloureux.
Écoutez Brian Goldman, il raconte tous ça bien mieux que moi. N’oubliez pas: « I do remember »
Je ne sais pas si ce système existe en France (en tout cas je ne l’ai pas constaté dans les services où je suis passé pour l’instant), mais les conférences Morbidity&Mortality des hôpitaux américains me semble être un outil intéressant pour la réflexion sur les erreurs médicales
Je n’ai aucune idée de l’efficacité sur la réduction d’erreur de ces conférences où les médecins sont invités à présenter leurs erreurs devant leurs confrères, mais il a le mérite de formaliser cette rétro/introspection qui nous manque lorsque nous commettons une erreur, pour l’analyser, la comprendre et éventuellement l’éviter ultérieurement.
Après, je peux comprendre que l’on se sente aller au pilori et que l’on pense que ce n’est qu’une façon de stigmatiser les erreurs médicales, mais l’on aurait peut-être à gagner en mettant en place ce genre de staff sur les erreurs médicales, éventuellement sous une autre forme.
Les revues de morbi-martalité sont obligatoires dans les services hospitaliers en France. Nous en avons fait. C’est un exercice très intéressant et formateur. Il faut juste arriver à la ritualiser et nous n’y sommes pas arrivés, le problème c’est que de nombreux médecins n’arrivent pas à se sortir de la tête qu’ils ne doivent faire que des home runs, mais que c’est impossible, malheureusement.
Peut-être faut-il changer les choses à leur base et enseigner aux étudiants les mécanismes des erreurs médicales et leur gestion ?
PS : je ne sais si cela vous intéresse (vous devez sûrement déjà connaître le principe des conférences M&M) mais j’ai trouvé cet article : (éventuellement pour les autres lecteurs du blog)
http://medqi.bsd.uchicago.edu/documents/M_MAcadMed2002.pdf
L#erreur est humaine et le facteur X ne peut à aucune moment de la Vie être exclu. Ce facteur X ou l’inconnu peut être une fois bénéfique, une autre fois non. Qu’un médecin se trompe, je le trouve normal – qui ne commet point?! – mais ce que j’ai en horreur et ne pardonne absolument pas aux médecins (et autres professionnels) est leur négation devant une mauvaise décision d’une situation médicale, ou pire de renvoyer la faute au malade. Là, mon sens d’équité refuse leur argumentation (ou plutôt leur absence) , et quand j’entends eux seuls peuvent juger d’une situation médicale (et encore pas toujours, puisque les appareils et examens ne montrent pas tout) et que la personne souffrant ne connait rien et ne remarque surtout rien lorsque sa santé prend un « coup », là je dois prendre sur moi pour ne pas leur sauter à la gorge (symboliquement). Je trouve que c’est une attitude hautaine de la aprt des professionnels de la médecine/santé mais le malade connait son organisme (le soigant non).
Courage! pour la suite.
Bonne soirée
Merci d’avoir partager ce super topo de Brian Goldman et ton expérience.
Dans ma tête des réflexions se bousculent (j’ai déjà parlé de quelques éléments là http://goo.gl/qLPMz) :
1) Pas d’enseignement en fac sur les relations humaines et les facteurs humains
2) Pas de culture du contrôle continu des connaissances et des pratiques par des pairs
3) « piège » de la solennité de la relation médecin-malade, le travail en équipe vient s’intriquer là dedans et c’est pas facile.
Je le vis tous les jours au sein de ce truc si particulier que j’aime : la médecine péri-opératoire. Le patient est entre les mains du chirurgien et de l’anesthésiste et de leurs équipes. Je ne connais pas beaucoup de situation équivalente en Médecine. C’est quand même vachement difficile parce qu’on ne fait tout de même pas vraiment les choses de la même façon, ni avec la même culture.
4) Il y a comme un mécanisme de protection (inconscient ? conscient ?) de déni des erreurs pour pouvoir continuer à avancer et à soigner d’autres patients. L’erreur reste dans la sphère privée, elle marque, mais pour éviter le blocage, on passe au dessus, surtout publiquement. En anesthésie, on voit avec nos petits yeux des erreurs de confrère de l’autre côté du champ, et c’est très rare qu’on puisse parler en équipe de cette erreur sereinement. C’est triste parce que ça calmerait la situation plutôt que chacun reste sur des suspicions malsaines. (NB j’ai pris l’exemple de mon côté mais on peut vraisemblablement extrapoler, je suis sûr que plein de médecins récupèrent des erreurs de gestion anesthésiques)
5) Le partage en ligne, via blogging anonyme des erreurs serait une chose positive. Mais il faut *aussi* rester solidement ancré IRL aussi. J’ai déjà raconté, à mes internes surtout, des erreurs que j’ai faites. (aux collègues seniors c’est plus difficile) Il y en a même une que j’essaye de leur apprendre parce que je peux reproduire tous les jours au bloc le dysfonctionnement, ça marque et j’espère que ça sert.
6) Il faut donc redonner du poids au partage de l’expérience. La littérature est sacrée, l’EBM prends un poids énorme. Des avancées ont été permises par tout ça. Mais la parole et le vécu clinique reste faiblement pondérés dans l’apprentissage. Si je dis à mes internes de premier semestre : « méfiez-vous de ça » (i.e. le tramadol et ses posologies généreuses…) il m’écoute d’une oreille distraite. Si je leur tends un papier avec des trucs *écrits* sur le tramadol, tout de suite ils donnent plus de d’importance au propos (alors qu’avec la littérature on peut jouer très facilement au jeu du pro/con)
7) Il est encore difficile de lutter contre les erreurs associées aux facteurs humains comme un excès de confiance ou du laxisme. Et tu as raison de souligner que l’avenir de la médecine est probablement dans le patient. J’espère vraiment que la diffusion large de l’information va progresser. J’ai vécu un exemple heureux/simple/trivial en consultation d’anesthésie hier : jeune patient qui vient pour une chirurgie ORL bénigne mais pathologie récidivante. Laïus stéréotypé sur le jeune préopératoire : ne pas manger, ne pas fumer, ne pas boire après minuit (notez qu’ici je dispense un discours avec lequel je ne suis pas 100% d’accord mais je m’assois sur mon point de vue pour la cohérence d’équipe). Et le patient : « ah mais je pensais qu’on pouvait boire un thé ou un café avant » (<et il a raison, 2H avant). Il venait dans le cadre de la chirurgie ambulatoire, je lui ai fait confiance, j'ai dit ok pour le thé 🙂 Exemple "bidon" mais j'ai trouvé cette expérience agréable.
Oui, c’est deux heures. J’ai un papier sous les yeux. J’avoue que tous ces questionnaires que le patient doit remplir me laisssent perplexent pour plusieurs raisons: je ne vois pas leur utilité, en premier, puisque (suite à une éxpérience personnelles sur une angiographie) eu une remarque giglante d’une IDE suite à une reaction que j’avais indiqué comme possible sur ce questionnaire. Donc à quoi ca sert de les remplir consciencieusement, si ensuite le personnel médical ne le lis apparemment point? Troisième pourquoi sont-ils apparues ces questionnaires et quatrième ils doivent protéger/éclairer qui? le soignant ou le soigné?
Pour l’instant, je les trouve que lassant et d’aucune utilité. Car, lors de l’entretien avec le médecin on reparle de ce qui est marqué dans ce questionnaire (effet secondaires, etc) et non sur des choses qui ne sont pas marqués dedans et qui apparaissent suite à ce document. Or, si ce papier est prévu pour faciliter la communication entre les deux parties, à mon avis personnel, c’est raté. Mes questions existant depuis des semaines restent sans réponses et la description sur le type d’intervention, les catégorie d’anésthesie – une fois lu, rempli et n’on parlont plus mais hélàs on va en reparler.
Bonne journée à tous
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Merci de m’avoir fait découvrir Brian Goldman. Brillant.
Ton billet m’évoque plusieurs choses.
En cours de neurologie en 1980, un étudiant avait interrogé un prof en commençant sa phrase par « Je crois que vous vous êtes trompé sur ce dess… » et le professeur, qui s’appelait je croise Reynier, l’avait interrompu « La dernière fois que je me suis trompé jeune homme, c’était en 1952… » C’était dit avec humour, limite 2e degré, mais cela m’a frappé.
Je me suis trompé plusieurs fois, et par chance (ou parce qu’on ne me l’a pas dit), cela n’a jamais eu de conséquence grave pour le patient. Je ne sais pas comment j’arriverais à vivre une erreur fatale. Cette vidéo m’aidera si ça m’arrive.
J’ai toujours considéré que mes erreurs étaient pédagogiques. Il y a une vingtaine d’année, j’ai raconté dans Prescrire comment je suis passé à côté d’une intoxication à l’atropine chez un bébé. Je voulais que la revue inaugure une rubrique sur nos erreurs. Ca n’a pas pris…
Dernière chose : si un médecin libéral commet un erreur objet d’une plainte, la première chose que lui dit son assureur, c’est de ne pas s’excuser, de ne pas communiquer avec le plaignant, sous peine de perdre sa garantie.
Chers confrères, si un jour vous commettez une erreur regrettable, excusez-vous auprès du patient, au moins par oral, avant de contacter votre assureur…
merci pour ton papier, qui m’a permis de relire un des miens que j’avais écrit il y a bien longtemps, mais qui reste au goût du jour et que je signerais volontiers une deuxième fois: « erreur médicale, du côté des coupables »
http://docteur-coq.over-blog.com/article-26372236.html
@ DDupagne : l’HAS a sorti en 2010 un guide où est préconisé exactement l’inverse : s’excuser et exprimer du regret, et ce sans délai.
Je rejoins le commentaire qui dit que ce n’est pas tant l’erreur qui est insupportable que les mensonges qui l’accompagne. Ca c’est franchement insupportable.
L’erreur est humaine, les conséquences des nôtres inhumaines.
La littérature est un vaccin évident. Après 50 consultations, pour une bonne part totalement infondées, je manque souvent de courage. Le reste du temps, personne ne venant contrôler ce que je fais, seule ma curiosité, voire ma passion me portent. Ces choses ont leur météo et j’ai une famille, une charmante épouse au nez poivré, quelle idée saugrenue… Il faudrait nous décharger, nous généralistes, de la charge de sous-médecine et sur-paperasse qui nous accablent et nous prive de temps précieux à nous former. J’ai rendez-vous à la fin du mois avec un confrère britannique, qui travaille à Londres, Putney, responsable d’un groupe de 8 praticiens, 5 nurses, 4 administratifs. Son activité s’inscrit dans le cadre du NHS. Son emploi du temps, rémunéré le double de ce que gagne le Dr Pinpin moyen ici, le jour où je dois le rencontrer: 8-12:15 consultations, 1-6pm rencontre mensuelle avec les autorités de santé locales pour discuter des problèmes en cours. Ses horaires habituels sont du genre 8-12:30 & 14-18:30, quelques nocturnes jusqu’à 20H un mardi sur 8. Un rêve.
Certes, ici, il suffit que je fasse l’hélicoptère avec mon stéthoscope pour toucher 23€. Heures d’ouverture de l’héliport: 8-20 3 jours par semaine (bouffe en 5 min), 8-17 & 8-19h deux autres jours. Tout patient devrait espérer plus que les soins de couillons lâchés dans la nature, avec leurs recettes de cuisine à attraper les marrons, inchangées depuis la fac. Je crois notamment à la délégation des tâches, qui permettrait, sur le modèle anglais, de mieux surveiller les anticoagulants, par exemple, bombe en permanence amorcée et de focaliser notre travail sur les questions médicales qui sont des questions, pas des règles de même pas trois qu’une nurse résout en chantant sous la douche.
Il est illusoire d’espérer éradiquer erreur, mais il est important de pouvoir en comprendre les mécanismes et systématiser des boucliers.
De manière simple, j’ai par exemple appris très tôt à faire systématiquement répéter mes patients, à leur poser la même question sous des formes différentes, à reposer la même question après 5 min. Le nombre de nausées devenues des douleurs d’angor typique par le biais de ce radotage policier est innombrable.
Nous sommes dans un pays où on file des notes à des gamins de 3 ans et la honte avec.
Il faudrait guérir les médecin de la honte originelle.
Bon courage.
Sur ce, je suis en retard.
Je me souviens d’un entretien dans un hôpital militaire. Mon interlocutrice évoquant un fait d’actualité mettant en cause un soignant dont les conséquences furent c’est vrai mortelles, m’avait clairement dit qu’ici, dans ses murs, l’erreur n’était pas permise, inadmissible. ça ne devrait jamais arriver c’est vrai, mais si c’était aussi simple de le dire. Après comme le dit Eo ce qu’il y a de pire restent les mensonges.
Bonsoir à toutes et tous,
Qu’il est salvateur pour l’esprit, de s’excuser de son erreur ! Et le plus tôt possible…
Il est vrai que dans l’immense majorité des cas, les patients, acceptent nos excuses, lorsque nous arrivons à le faire …
Malheureusement, ce n’est pas encore – complètement – dans les « gènes » de notre culture médicale, la faute qui à l’enseignement universitaire encore carencé en ce domaine, aux « assurances professionnelles », au « qu’en dira t-on », à la fuite en avant …
Oui, Chantal vous avez raison, nous ne sommes que trop enfermés dans nos tours d’ivoire, dès lors que nous avons commis/nous commettons, une erreur, probablement la marque d’une « blessure narcissique », d’un orgueil/d’une fierté mis à mal, et in fine du refus de la problématique à se l’accaparer pour mieux rebondir
Il s’écoulera encore nombre de générations d’étudiants et de Docteurs en Médecine avant que tout cela ne devienne complètement naturel, de s’excuser de son erreur.
Je m’inflige la même violence que vous, Stéphane, à douter de bout en bout, sur tout et ce qui n’est pas tout et de ne pas verser dans la « facilité », ni dans la routine dangereuse … Cruelle désillusion parfois !
Malgré cela, on ne se préserve pas à 100% de l’erreur !
Je cherche l’excellence pour les patients dont je m’occupe (dans mon quotidien d’urgentiste-réanimateur), et bien que cela puisse être prétentieux voire totalement immodeste (on dit souvent dans mon dos, que « j’en fais beaucoup trop »!) , c’est une lutte de tous les instants (fais-je bien ? assez ou pas assez ? que proposer de mieux ? etc…), une gymnastique mémorielle permanente, le recours aux aides (collègues, livres, articles scientifiques, consensus, et/ou Internet …) comme autant de parachutes à cette chute vertigineuse, course sempiternelle vers le « zéro faute » …
Hélas en vain, car l’erreur est là, et se produit indubitablement, le jour où on relâche cette exigence !
Autre explication à cette absence de culture de la reconnaissance de l’erreur : notre difficulté à satisfaire complètement aux exigences de « qualité », même si l’HAS et autres instances tutélaires nous effectuent régulièrement des « piqûres de rappel ».
Pour conclure, je citerai Pierre Desproges qui disait : « la seule certitude que j’ai c’est d’être plein de doutes », aphorisme d’un bon mot facile, mais credo de mon quotidien.
Merci à vous de cette note.
@Shakespire : merci de conclure avec la citation « »la seule certitude que j’ai c’est d’être plein de doutes « , aphorisme d’un bon mot facile, mais credo de mon quotidien. »
Ma certitude est de ne pas l’être, que le doute est bien présent dans ma vie. Le hic est que souvent, on me le reproche. Merci de montrer que d’autres personnes existent.
Bonne soirée à tous
Je me souviens effectivement de chacun d’eux et de leur nom. Et peut-être pas de la honte mais du malaise épais que je ressens à chaque fois, partagé entre l’envie d’avoir des nouvelles, ne serait-ce que pour apprendre à ne pas refaire la même erreur, et le silence radio, genre pour l’instant tout va bien, quand surmontant mon angoisse je tente de contacter la famille ou le médecin traitant de ceux qui ont survécu…
débat récurrent ce qui est déjà intéressant:comme tout un chacun, la mauvaise qualité de notre travail peut avoir des conséquences péjoratives pour le patient,nous,les institutions qui nous emploient, l’image de la profession etc.Parler d’erreur semble déjà se focaliser sur un mécanisme spécifique: »le facteur humain » au sens individuel ce qui me semble très réducteur.
Notre formation semble une fois de plus très inadéquate car laissant dans l’ombre la majeure part des problèmes cognitifs,épistémologiques,institutionnels,sociaux de notre pratique laissant croire que la prévention de l’erreur repose sur la simple rencontre des connaissances et de l’engagement « sérieux » contre dilettante .
première approche par la formation des jeunes en abordant le sujet direct par la typologie descriptive et les moyens élémentaires de prévention ,puis démonstration permanente par les cas cliniques,les revues de mortalité, les audits de pratique à risque menés en interne, la face externe accréditation étant peu sérieuse privilégiant trop le formalisme
prendre en charge patient et praticien post erreur est aussi un sous chapitre indispensable
en référence le numéro spécial de Prescrire me semble un bon commencement,j’ai déjà dit du bien des 2 bouquins de C Morel sur les Décisions Absurdes, élargir le champ avec la littérature générale d’accidentologie/catastrophe et celle sur la décision médicale( Bayésien au quotidien quid?)
merci pour cette belle leçon d’humilité, j’adhère totalement au principe de la reconnaissance mutuelle de nos humanités, que ce soit entre professionnels mais surtout entre patient et médecin. Cela va dans le sens d’un soin éclairé, qui se teinte naturellement d’une composante « incertitude ». Mais à quoi sert de nier cette incertitude, puisque même cachée au patient, elle existe pour le médecin? Adieu paternalisme rassurant qui rend les patients totalement dépendants du savoir mais aussi des erreurs des médecins!
Vaste sujet et très intéressant. L’erreur et humaine, fait partie du comportement humain involontaire, et le plus souvent résulte de plusieurs verrous qui n’ont pas fonctionné. Dans nos sociétés, il y a irruption du judiciaire dans ce fait humain, qui fait que la personne lésée cherche réparation le plus souvent financière. Les assurances cherchent donc a exonérer au maximum de sa responsabilité le médecin qui n’est donc plus seul a décider de son attitude face a ses erreurs, puisqu’elle entrainera des débits financiers a son assurance s’il la reconnait.
2) La prévention de l’erreur est bien connue et analysée en aviation (voir site du BEA) et je conseille a tous les médecins de passer au titre de la formation professionnelle un brevet de pilote pour côtoyer cette culture et s’en imprégner.
3) malgré cela il restera toujours des erreurs, et pour les minimiser deux choses me semblent actuellement importantes : donner une stature juridique aux staffs de morbi mortalité, qui si la procédure de soin suivie est correcte doivent pouvoir valider cette procédure et empêcher un recours abusif judiciaire. Ensuite il faudrait pouvoir décider a plusieurs, comme dans un cockpit d’avion : c’est ce qui est fait dans les réunions de cancero par exemple et dans les réunions de service qui valident les prises en charge lourdes, mais cela n’existe pas dans les consultations ni au bloc opératoire (sauf cas particuliers). A on les moyens, en rémunérant un consultation a 23 euros, de s’adjoindre un autre collègue qui servira de garde fou? A on les moyens en rétribuant une appendicite a 290 euros (dont 50% partent en charges) de payer un chirurgien adjoint qui servira de sécurité et parfois de conseil à l’opérateur principal ? Pour mémoire, les staffs de cancero en privé sont non rémunérés, toutes les réunions transversales (clin – clud- conseil de bloc etc…), sont bénévoles. Donc, si on veut encore augmenter la sécurité, il y a des progrès a faire a la fois dans notre formation et dans les moyens qui sont alloués. Il faut motiver les gens, et la peur du bâton ne résoudra rien : récemment dans un grand pays en forte expansion, un patient réanimation est victime d’une erreur d’administration de médicament, aucun médecin n’a voulu s’en occuper de peur d’être accusé d’étre responsable son décès qui semblait inéluctable. A méditer…
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Il me semble que c’est Jean Hamburger qui a dit quelque chose comme ça : un médecin doit rester humble vis à vis de sa pratique, car on a tous un cadavre dans notre placard.
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