Depuis quelques millénaires, le fruit fermenté fournit des boissons alcoolisées. Les français autour d’un de ces produits, le vin, on construit un art de vivre. Il est difficile de parler des effets toxiques de l’alcool sans des levées de bouclier immédiates et des discussions sans fin. Malgré tout, il y a un consensus sur le fait que l’éthanol est toxique. Il représente la troisième cause de morts évitables dans le monde. Si ses toxicités hépatique, myocardique, pancréatique, neurologique ne font aucun doute son potentiel néphrotoxique reste largement débattu.
Les questions des patients en cette saison d’alcoolisation rituelle se font plus pressantes. Depuis longtemps, je voulais faire un petit point sur le sujet. Il est dans la continuité de ma note précédente.
La consommation d’alcool aigue s’accompagne d’un freinage de la sécrétion d’ADH (hormone antidiurétique) responsable d’une polyurie hypotonique. Vous avez tous expérimenté ça. L’alcool fait pisser de l’eau. Ce phénomène s’accompagne rarement d’une hypernatrémie car la sensation de soif permet de compenser la perte hydrique 84.
La consommation d’alcool s’accompagne aussi d’un effet magnésuriant qui explique que le trouble hydroélectrolytique le plus fréquemment rencontré soit l’hypomagnésémie surtout chez les alcooliques chroniques. Cette hypomagnésémie fait le lit de l’hypokaliémie et de l’hypophosphorémie qui sont loin d’être rares dans cette population. Les pertes rénales ne sont pas seule en cause les carences d’apport joue un rôle important NigerMedJ55293-4430577_121825.
Les hyponatrémies parmi les plus profondes sont vus chez les buveurs de bières. L’apport de grandes quantités de liquides sans osmole limite les capacités du rein d’éliminer de l’eau libre. Par exemple, un sujet normal qui ingère 1000 mosm par jour avec une capacité de dilution maximum des urines de 50 mosm/l va pouvoir boire 20 litres d’eau (1000/50) par jour sans problème. Par contre si l’apport osmolaire est de 200 mosm par jour et qu’il y a un petit défaut de capacité de dilution du rein (par exemple osmolalité urinaire max à 100mosm/l) du fait d’une dénutrition, vous pourrez boire uniquement 2 litres (200/100) sans risque, le troisième litre ne sera pas éliminé car vous n’avez pas de quoi accompagner l’eau dans les urines (il vous manque des osmoles). Les buveurs de bière ne mangent pas mais par contre boivent de grande quantité de liquide. Ils accumulent de l’eau dans leur organisme par défaut d’élimination par les urines responsable d’hyponatrémies parfois profondes. Pour prévenir cette complication, mangez du sel avec votre bière.
L’alcoolisation aigüe surtout chez des alcooliques chroniques peut s’accompagner d’une acidocétose parfois impressionnante, nous avions reçu un buveur de rhum avec moins de 7 de pH. Le traitement est assez facile, du glucose plus ou moins de l’insuline Intox aux alcools cJASN 2008.
Le binge drinking associé à la prise d’AINS est une cause classique de nécrose tubulaire aigue accompagnée de douleurs lombaires. Le tableau est assez stéréotypé Binge AINS et rein JASN1993. Le plus souvent il y a une récupération ad intégrum. J’ai trouvé un seul cas de binge drinking sans prise d’AINS responsable d’une nécrose corticale conduisant le monsieur en dialyse Binge et necrose corticale 2011.
Récemment, une équipe anglaise a publié une série de 6 cas chez des adultes jeunes ressemblant à ce tableau clinique (NTA et douleurs lombaires). La particularité est la présence, sur les biopsies rénales, de microthrombi des veines arquées associé à des infiltrat inflammatoires IRA et thrombi des veines arquées cJASN 2014. Cette découverte suggère une activation locale de la coagulation. Les 6 cas rapportés sont tous des sujet jeunes ayant consommé de l’alcool dans les jours précédents. Il est difficile de savoir si cette nouvelle entité est du à l’apport d’alcool seul ou autres choses. Ils ont tous récupérés. Il est parfois difficile de faire le tri entre toxicité de l’alcool et autre prise de toxiques. Il est tentant de penser que l’hyperosmolalité secondaire à la perte hydrique obligatoire en cas de prise d’alcool puisse favoriser la survenue d’événements thrombotiques. Un article, peut être un des plus importants de l’année 2014, fait le lien entre hypernatrémie et thrombose donnant un rationnel physiopathologique intéressant.
Enfin, l’alcool peut être responsable de nécrose tubulaire aiguë par le biais de rhabdomyolyse.
Si en consommation aiguë, il est certain que l’alcool puisse être responsable de problème rénaux, peu fréquents mais potentiellement très graves, justifiant d’éviter des consommations très importantes en peu de temps. Le vrai problème est celui de l’éventuel impact de la consommation chronique.
Une complication qui ne fait aucun doute est l’hypertension artérielle. La consommation chronique d’alcool s’accompagne d’une augmentation des chiffres de tension artérielle. Cette complication a été décrite dès 1915 par le Dr Camille Lian en France.
Vous pouvez lire son exposé à l’académie de médecine sur le site de Gallica.
Depuis ce travail, ces résultats ont été confirmés HTA et OH epidémio 2014. La physiopathologie reste encore obscure, stimulation du système rénine angiotensine aldostérone et dysfonction endothéliale sont apparemment les deux phénomènes critiques Physiopathologie HTA OH 2014. Si un de vos patients a une HTA dite résistante, il faut rechercher une consommation chronique d’alcool qui peut être un facteur de résistance majeur au traitement. Le sevrage fait parfois des miracles sur les chiffres de pression artérielle.
Avec ces effets sur la tension artérielle, il est logique de penser que l’alcool va être responsable d’une augmentation du risque de développer ou voir progresser une maladie rénale chronique. La littérature sur le sujet est loin d’être consensuelle. Les uns disant que la consommation chronique d’alcool est délétère, d’autres sans effets. Une méta analyse vient d’être publiée qjmed.hcu247.full. Elle montre contre toute attente une association inverse entre consommation d’alcool (au moins 30 g par jour) et risque de maladie rénale chronique. Par contre, l’alcool ne protège pas de l’insuffisance rénale chronique terminale. Si on croit ce travail, l’alcool pourrait protéger les reins, surtout des hommes, de la survenue d’une maladie rénale chronique. Ce résultat est à prendre pour ce qu’il est, une méta analyse d’études observationnelles. Malheureusement, nous n’aurons jamais mieux. Le fait que l’alcool ne protège pas des besoins de dialyse est probablement expliqué par la rareté des événements mais aussi et plus surement par le fait que l’alcool tue assez efficacement ne permettant pas de voir son potentiel néphroprotecteur s’exprimer. En attendant, un essai randomisé, je ne conseillerai jamais de consommer de l’alcool pour faire de la néphroprotection. Les données sur l’HTA sont plus robustes. Je persisterai à conseiller aux alcooliques d’arrêter de boire car un hypothétique bénéfice sur le rein ne peut faire oublier les certitudes hépatiques et sociales.
Pour résumer, le bon sens nous incite à proscrire toute consommation excessive d’alcool pour garder une bonne santé rénale.
Et pour finir, une fabuleuse chanson d’un amoureux du Jack Daniel’s, je vous conseille la géniale série que lui a consacré France culture cet été. Au delà de la musique vous découvrirez une icône, symbole d’un siècle d’Amérique triomphante. Allez 2’30 » avec The Voice ne se refuse pas.
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