Boire ou ne pas boire ? Telle est la question…

L’eau est indispensable à la vie. Boire du thé est une de mes activités préférées. L’eau est si indispensable à la vie que nous avons à notre service une sensation d’une puissance extraordinaire pour nous prévenir quand nous en manquons, la soif. Nous possédons aussi des reins qui ont une fantastique capacité à conserver l’eau.

Malgré l’efficacité de la physiologie de l’eau pour nous protéger, un des mythes urbains les mieux ancrés dans la population générale et dans la communauté des personnes atteintes d’une maladie rénale est celui de forcer les reins à marcher en buvant de grandes quantités d’eau. Aux USA, il existe une classique « 8*8 » soit boire 8 fois 8 oz d’eau par jour, soit un total de 1,8 litres. Combien de fois en consultation, « Dites lui docteur qui faut qu’elle boive plus, elle m’écoute pas. » Elle a raison.

Il y a quelques années, je connus mon heure de gloire en passant sur une obscure chaine du câble en répondant à des questions sur l’eau. Le montage fut amusant car juste après moi qui disais: « buvez à votre soif, sans vous forcer », le communiquant d’une grande marque d’eau en bouteille disait tout le contraire.

A l’époque j’avais fait un peu de bibliographie pour ne pas raconter n’importe quoi.

Il n’existe aucune preuve qu’augmenter son apport hydrique pour forcer sa diurèse présente un bénéfice pour la santé. Suivre sa soif est le meilleur indice d’un déficit hydrique, l’intérêt de prévenir ce dernier ne repose sur aucune preuve. Il n’y a aucun rationnel scientifique sous tendant les recommandations aussi bien américaines (apport hydrique de 2,7 l pour les femmes et de 3,7 litres pour les hommes)DRI_Electrolytes_Water qu’européennes (apport hydrique de 2 litres pour les femmes et 2,5 litres pour les hommes)reco europe apport hydrique. Vous remarquerez le delta des deux cotés de l’Atlantique. Everything is bigger in america. De nombreuses revues ont tenté de démonter cette légendes urbaines malheureusement avec un succès plus que mitigé JUst add water edito JASN 2008 My doctor said me cJASN review 2006.  Nous voyons toujours en consultation des patients avec une maladie rénale chronique chez qui il a été conseillé de boire, boire et forcément il urine, urine. Si le débit de filtration glomérulaire est altéré, il y a une nycturie qui est particulièrement gênante, se lever 3 ou 4 fois la nuit pour uriner a un impact non négligeable sur la qualité du sommeil et de vie, sans parler des risques de chutes et de fractures chez les sujets prenant des psychotropes.

Le rationnel d’augmenter l’apport hydrique dans les maladies rénales chroniques et en général repose sur trois arguments:

  1. Boire fait travailler les reins et augmente l’élimination des toxiques. Aucune étude ne conforte cette idée au contraire. Un travail par Anastasio montre que chez des patients sains, augmenter l’apport hydrique entraine une diminution du débit de filtration glomérulaire comme vous pouvez le voir sur la figure suivante (GFR=débit de filtration glomérulaire).
     http://www.kidney-international.org/cms/attachment/2043409832/2055956881/gr3.gif
    Cet argument est un mauvais argument. De la même façon passer du Glucosé à 5% pour prévenir la toxicité de certaines molécules est totalement inutile.
  2. Les patients avec une insuffisance rénale chronique ont un trouble de la concentration des urines et doivent boire pour éviter la déshydratation. La perte de concentration des urines, qui explique ce signe précoce d’insuffisance rénale chronique qu’est la nycturie, existe comme l’illustre cette figure issue de cet article Water as a medicine KI review 2013. Osmolalité UAucune étude n’a montré par une approche interventionnelle que beaucoup boire avait un impact positif sur la vitesse de dégradation de la fonction rénale. L’évidence va plutôt en sens inverse, en particulier ce travail issu de l’étude MDRD va plutôt dans le sens qu’un apport important d’eau (évalué par la diurèse et l’hypoosmolalité plasmatique) s’accompagne d’une dégradation de la fonction rénale Lee AJKD 2003. De plus, il n’a jamais été montré que les patients avec une insuffisance rénale chronique ont un défaut de sensation de soif. Cet argument est sans fondement.
  3. Enfin la troisième hypothèse, plus récente soutenue par les travaux sur la polykystose rénale autosomique dominante, est que l’ADH (hormone antidiurétique) serait délétère pour le rein. Freiner sa sécrétion en prévenant les épisodes d’hyperosmolalité plasmatique serait bénéfique. Vous trouverez le rationnel dans l’article de kidney international de 2013, cité plus haut. Je ne connais qu’une étude interventionnelle ayant évalué l’impact d’un apport hydrique important sur la progression de la maladie polykystique. Malheureusement, elle ne va pas dans le sens des expériences animales, ne diminuant pas la taille des reins. L’augmentation de l’apport en eau est associée à une vitesse de dégradation plus importante de la fonction rénale dans le groupe apport hydrique important (-5,5 ml/mn/an) contre le groupe apport normal (-1,1ml/mn/an). Même si la différence n’est pas statistiquement significative, il me semble difficile de continuer à conseiller aux patients porteurs d’une polykystose rénale autosomique dominante de se forcer à boire tant qu’une étude de plus grande ampleur n’aura pas infirmé ces résultats Nephrol. Dial. Transplant.-2014-Higashihara-1710-9.

Vous voyez que ces trois arguments classiques ne sont pas réellement soutenu par des données scientifiques dures.

Continuons notre exploration de la littérature. Depuis que les revues de la littérature, que j’ai cité précédemment, ont été publiés (je rajoute celle de Valtin qui est leur mère Valtin AJPR review 2002) . Elles étaient toutes contre ce mythe du « 8*8 », le début des années 2010 a été marqué par trois études observationnelles allant dans le sens de l’intérêt d’un apport hydrique important pour protéger le rein Clark AJNephrology 2013 Clark cJASN 2011 Srippoli Nephrology 2011. De plus une maladie, la néphropathie mésoaméricaine, avec une approche physiopathologique reposant sur la déshydratation intracellulaire a conforté le rationnel de ces travaux épidémiologiques. Ces études épidémiologiques reposent sur des analyses de cohortes où de nombreux facteurs de confusion peuvent être présents. Il est assez étrange d’utiliser une cohorte créée pour étudier les risques des eaux contaminées pour analyser ce problème. Les biais étaient particulièrement bien présentés dans cet éditorial Edito clark cJASN 2011. Elles apportent un rationnel pour faire des essais cliniques mais pas plus. J’ai déjà écrit ce que je pensais de l’hypothèse déshydratation comme seule cause de la nephropathie mésoaméricaine. De plus pour ceux qui aiment les conflits d’intérêts, l’article de 2013 voit apparaitre des coauteurs de chez Danone.

Récemment, vient d’être publié une nouvelle étude épidémiologique avec un suivi médian de 13 ans s’intéressant à l’impact de l’apport hydrique sur la survie, les pathologies cardiovasculaires, et la fonction rénale Nephrol. Dial. Transplant.-2014-Palmer-ndt_gft507(1). Cette cohorte est de très bonne qualité et probablement meilleure que les précédentes utilisées. De façon amusante, elle a été menée par Strippoli. Pour faire court, un apport hydrique important n’apporte rien en terme de survie, de prévention des événements cardiovasculaires et de dégradation de la fonction rénale.

apport hydriqueEnfin, comme on m’objectera qu’au pire boire beaucoup ne fait pas de mal et au mieux c’est bien, alors autant boire beaucoup. Je répondrai, il y a plus d’études qui vont dans un sens négatif, et cette étude taiwanaise montre que les patients avec une maladie rénale chronique présentant un surcharge hydrique évaluée par impédancemétrie ont un pronostic rénal plus mauvais que les autres TSAI AJKD 2014. Si la surcharge n’est pas du qu’aux apports, ce travail doit nous conduire à la plus grande prudence quand à conseiller de boire de grande quantités d’eau chez des personnes aussi fragiles que les patients avec une maladie rénale chronique.

Il n’y a, à l’heure actuelle, aucune preuve que boire sans avoir soif soit bénéfique pour la santé. Il faut à mon avis suivre notre physiologie, quand nous avons soif c’est que nous manquons d’eau, sinon nous n’en manquons pas. Prévenir la soif n’a jamais montré aucun bénéfice, voir peut être dangereux dans certaines situations comme le marathon. Il faut résister à la publicité et ses arguments ridicules ne reposant sur rien. Pour les patients avec une maladie rénale chronique, la seule situation où augmenter ses apports hydriques est justifié est la prévention de la lithiase rénale. Dans la prévention de l’infection urinaire le niveau de preuve n’est pas très haut mais cette approche est probablement utile. Il n’y a aucune autre situation où se forcer à boire est bénéfique. En espérant pouvoir un jour avoir plus de données pour trancher et répondre à une question aussi simple: « Boire ou ne pas boire plus ? ». Il serait peut être intéressant que les industriels de l’eau se lancent dans un bel essai thérapeutique.

En attendant, soyons raisonnable, écoutons notre hypothalamus et buvons quand il nous le dit.

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22 réponses à Boire ou ne pas boire ? Telle est la question…

  1. K dit :

    Merci beaucoup pour cette note illuminante. Incroyable!
    Perso je conseille les patients de boire « à votre soif » ou « une grande bouteille d’eau par jour » pas plus.

  2. nfkb dit :

    J’adore le démontage en règles des légendes urbaines !

    Je crois qu’on peut dire que l’encouragement à la boisson a tué de façon vraiment bête un paquet de coureurs 🙁

    Autre truc : je connais une urologue qui milite contre les apports hydriques abusifs, selon elle ça participerait à développer l’incontinence. http://www.perinice.fr/notre-actualites

    Bon Dimanche !

  3. Depuis ma greffe rénale (32 ans) on m’a toujours conseillé de boire, conseil que je n’ai pas toujours bien suivi. Aujourd’hui, je prends du cozaar pour limiter l’albumine, et je fais vraiment attention de boire deux litres, pour éliminer, aider le rein puisque je prends des antagonistes de l’angio-tensine, et je me rends compte que même ce que je crois évident, et que l’on me conseille est discuté.

  4. Kyra dit :

    Et qu’en est-il de la perte de sensation de soif chez le grand vieillard?

    • PUautomne dit :

      Si vous avez une reference scientifique sur le sujet en dehors du patient avec syndrome dementiel je suis preneur. Je parle d’un travail qui retrouve une augmentation de l’osmolalite plasmatique sans declenchement de la soif. Je vous remercie d’avance

      • A. Pedrinha dit :

        Autant je trouve ridicules ces masses qui ne peuvent se déplacer sans une bouteille d’eau à la main, de peur de tomber en lyophilisat, autant je trouve que l’homéostasie n’est pas (que) pour les chiens (et les fennecs), autant je tord le nez devant votre dubitatisme (néologisme pour me mettre à l’unisson).
        Car absence de preuve n’est pas preuve d’absence.
        Ceci dit c’est en effet plutôt chez les vieillards handicapés qui ont du mal a aller chercher à boire, et les diminués cognitivement, que l’on trouve la déshydratation par oubli.

        • PUautomne dit :

          La phrase « l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence » est un des grands arguments des laboratoires pharmaceutiques et des fabricants d’eau quand il ne peuvent pas donner de preuve. Ceci permet aussi d’éviter de faire de grands essais en mettant un peu d’argent sur la table. Car s’ils étaient si sur de leur coup, l’industrie pourrait facilement mettre quelques millions de dollars sur la table pour inclure 30000 personnes dans un essai randomisé sur 5 ans comparant apport hydrique supplémentaire contre physiologie. C’est la seule manière de répondre. Je pense que l’absence de vouloir produire de la preuve dit quelques choses.
          Je pense qu’il faut les lire les articles que j’ai rendu accessible dans la note avant de dire qu’il n’y a pas de preuves.

  5. Tellement merci. Je disais la même chose de puis des années, mais je n’avais pas « la revue de littérature qui clôt le débat ». Tu es indispensable.

  6. presque quotidiennement je m’en voulais de ne pas me forcer à boire et un sentiment de culpabilité me reveillait souvent la nuit au point de me lever pour me forcer à boire un verre d’eau. J’écouterai mon corps et je retrouverai un sommeil plus serein. C’est beaucoup. Alors merci!

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  9. chouchane dit :

    Dans le cadre de la PKD, il me semblait avoir lu que boire beaucoup avait un impact favorable sur l’augmentation du volume des kystes. Idée fausse?

  10. nfkb dit :

    Hello,
    j’ai récemment augmenté ma consommation de Vichy suite à une augmentation de mon volume d’entrainement.
    Me suis demandé quel serait l’impact chez un hypertendu qui prendrait ça au long cours. Qu’en penses-tu ? Est-ce que c’est classiquement déconseillé ? Merci

    • PUautomne dit :

      Si on se base sur quelques papiers sur l’utilisation du bicarbonate oral chez les IR, il y a une tendance à ce que la TA soit un peu plus haute (cf ce papier qui compare bicarb vs fruits et légumes http://cjasn.asnjournals.org/content/8/3/371.long) ou les patients ont besoins d’un peu plus de diurétiques (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19608703) tous les auteurs ne retrouvent pas ça mais l’utilisation du bicarb chez les IRC je trouve fait un peu monter la tension. Chez des patients sans altération du DFG je ne sais pas.
      J’espère avoir répondu en partie à la question.

      • nfkb dit :

        merci pour ta réponse, chez un patient non IRC, je me demande si une petite augmentation du bicar pourrait optimiser le pool potassique global et devenir ainsi bénéfique… du fantasme, en tout cas il semble bien que ça soit le chlore l’ennemi, pas forcément le sodium, si ?

        • PUautomne dit :

          Chez un patient sans IRC le bicarbonate dès qu’il va dépasser 28 mmol/l va être éliminé dans les urines entrainant une fuite urinaire de potassium, je rappelle que c’est pour cette raison qu’il y a une hypokaliémie dans les vomissements.
          Je ne suis pas sur que le chlore soit l’ennemi sinon nous n’en aurions pas 100 mmol/ l d’eau plasmatique. Il n’est probablement pas bon de trop en apporter par voie intraveineuse, pour le reste nous n’en savons foutrement rien. On peut tout à fait mettre en OAP un patient en le remplissant uniquement au bicarbonate de sodium et je crois que le problème c’est le sodium dans l’histoire. La physiologie est plus complexe qu’une dichotomie bien ou mal. Le mal est plutôt le déséquilibre non corrigé qu’un ion en particulier.

          • nfkb dit :

            Ok. J’imaginais juste que l’alcalinisation était infime en buvant une bouteille de Vichy par jour.
            Après, pour l’hypertendu, l’apport en NaCl d’un litre de Vichy est de 0,53 g/l, je me disais que l’apport en bicar dans notre monde où les protéines et leur acidité sont un peu trop présentes ça aurait pu être bénéfique.
            Bon, je garde ça pour ma pomme pendant et après l’effort. Pour les patients ça parait difficile de conseiller ça dans un contexte plus large.
            (Et va vraiment falloir que lise Stewart et cie pour le SID & co. Les néphrologues l’utilisent ou ça n’est qu’un truc de réa ?)

            PS pour l’hypokaliémie et les pertes gastriques j’avais écrit ça http://www.nfkb0.com/2012/12/24/kaliemie-et-aspiration-gastrique/ 🙂

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