Hier soir, Docdu16 m’a demandé ce que je pensais de cet article bmj.g7667.full.
Qu’en pense @PUautomne ? http://t.co/JbaHgxBoAr
— Grange (@docdu16) January 14, 2015
Il faisait partie des articles dont je voulais parler dans un billet.
Du coup, j’en profite. Ce papier est issu d’une série intitulée les pages de l’incertitude. Il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Ici l’incertitude repose sur la façon de mesurer le débit de filtration glomérulaire (DFG). Quand j’ai commencé en néphrologie, nous calculions systématiquement le DFG en faisant UV/P. Puis nous sommes passé au Cockroft, puis à MDRD et maintenant CKD-epi, dans une quête sans fin de la réalité du DFG réel. J’ai l’impression que nous aurons du mal à faire mieux que CKD-Epi avec la créatinine et que la quête d’une formule universelle est un peu vaine.
Le débat est actuellement sur l’introduction de la cystatine C comme évaluateur du DFG. L’article fait bien le point sur les zones d’incertitudes.
Le DFG prédit le risque de mortalité et d’insuffisance rénale chronique terminale, les formules avec la cystatine C prédirait mieux ces événements. Une remarque, dans toute les formules, l’age est une variable servant au calcul avec un poids plus ou moins important. Je n’ai pas les compétences en statistique pour dire quoi que ce soit sur le sujet, mais je me suis toujours posé la question de son impact dans la rentabilité prédictive des formules, car plus l’age est élevé plus le risque d’avoir un DFG bas est important. Je suis toujours étonné que personne ne se soit réellement penché sur ce problème d’interaction, même si en multivariée le risque lié au eDFG est indépendant de l’age, j’ai toujours du mal à croire qu’il n’y a pas quelque chose. La cystatine C améliore un peu, en combinaison avec la créatinine, l’évaluation du DFG par CKD-epi. J’ai déjà donné mon opinion sur le sujet. Je pense que le seul intérêt de cette dernière est, éventuellement, de dire si il y a ou pas une IRC quand l’évaluation du DFG avec une formule reposant sur la créatinine est limite et qu’il n’y a aucun autre marqueur d’atteinte rénale. Cette utilisation est reprise dans l’article du jour. Personnellement, je n’utilise pas la cystatine C, j’ai probablement tort. J’aime bien encore faire des UV/P, comme raconté dans cette histoire où j’avais abordé les limites des formules.. J’ai revu le patient récemment qui va parfaitement bien et à toujours les mêmes valeurs biologiques sans événement.
Faut il utiliser systématiquement la cystatine C pour mieux prédire le risque de mortalité et d’insuffisance rénale? Nous classons pour le plaisir de classer, comme des taxonomistes du XIXé siècle. Y a t il un intérêt à augmenter la prédiction? Avons nous des outils thérapeutiques permettant de réduire le risque de décès dans cette population avec DFG altéré? Avant de reclasser, posons nous la question à quoi va servir cette reclassification? Chez des patients avec un DFG entre 45 et 60 ml/mn sans protéinurie, aucune thérapeutique spécifique n’a montré un bénéfice clair. Si ils sont hypertendus, il faut traiter l’HTA avec un objectif 140/90 mmHg, comme si il n’avait pas de maladie rénale chronique. Certains vont me parler de SHARP et de l’intérêt du traitement hypocholestérolémiant dans cette population, pour justifier de bien identifier les patients avec un DFG altéré et donc d’utiliser une formule intégrant la cystatine C. Je rappellerai deux choses, pour les amoureux de l’EBM, l’inclusion dans Sharp se faisait non pas sur le DFG mais sur la créatininémie (p22) et la population est stratifiée en utilisant MDRD dans les résultats. En pratique, si nous restons rigoureux, nous ne savons pas si il est utile de donner un traitement hypocholestérolémiant dans une population avec un DFG utilisant CKD-Epi creat/cystatine. Il faudrait soit refaire l’analyse dans Sharp en utilisant cette valeur, soit refaire une étude incluant en utilisant cette formule. En attendant, pour introduire une statine, il faut se baser uniquement sur la créatinémie avec pour valeur seuil 150 µmol/l chez l’homme et 130 chez la femme. Comme vous le voyez, il n’est pas si simple de savoir si plus de sensibilité est utile à la prise en charge des patients.
L’autre question posée est: comment évaluer la progression de la maladie rénale? Ici le désert scientifique est immense. Nous ne savons pas vraiment si ces formules sont très sensibles et spécifiques. Quand le DFG se modifie, est ce un phénomène aigu par exemple du à la prise d’AINS qui a été oublié, ou une progression de la maladie rénale chronique? J’ai le sentiment que seule la multiplication des points permets de répondre à la question et encore avec humilité. Il est difficile pour moi, néphrologue de base, de répondre dans l’absolu sur un chiffre, sans histoire clinique, ni analyse de l’ensemble des paramètres biologiques et de leur évolution. Je crois beaucoup à la médecine personnalisée comme vous pouvez le voir, non pas faite dans des ordinateurs mais au lit du patient. J’y croirais au big data en médecine quand les preuves seront là.
Nous voulons faire disparaitre l’analyse clinique au profit d’une approche algorithmique simple. Peut être que nous y arriverons, mais il va falloir inclure un paquet de variables avant d’avoir le machin qui prédira notre avenir rénal. Ceci arrivera mais en attendant, je crois qu’il faut toujours revenir à des choses simples, l’age, le contexte, l’histoire clinique, les prises médicamenteuses, l’état d’hydratation, la présence d’une protéinurie. Savoir être raisonnable est essentiel. Faut il s’acharner à trouver une cause d’IR chez un patient de 85 ans polyvasculaire, diabétique, dément avec un DFG à 45 stable sur 2 ans? Je ne crois pas. Par contre à 30 ans s’acharner à comprendre pourquoi le patient à 55 ml/mn de DFG avec une protéinurie à 1 g ceci a du sens pour l’avenir.
Je finirai en abordant un point qui me semble capital. Nous avons réduit la fonction rénale au débit de filtration glomérulaire, ceci a été intéressant. Nous avons pu montrer l’impact de l’altération de la fonction rénale sur le système cardiovasculaire, en particulier. Nous touchons au bout de cette approche réductionniste. Nous avons oublié que derrière le glomérule, il existe une machinerie fantastique, le tubule. Tant que nous n’évaluerons pas les fonctions tubulaires en parallèle avec le DFG, nous raterons de la complexité et de l’information. Ce qui me conforte dans cette vision est l’impact de l’acidose métabolique, fonction au combien tubulaire, sur l’altération du DFG, sur les interactions fortes entre phosphore et fonction glomérulaire. Je vous conseille cet article qui suggère l’utilité de ces marqueurs simples. Le tubule a un rôle important dans l’élimination de toxines urémiques comme les solutés indoliques. Le dosage de ces toxines urémiques pourraient permettre d’améliorer la prédiction du risque de décès ou de progression de l’insuffisance rénale indépendamment du DFG. De plus elles jouent un rôle dans la physiopathologie des complications cardio-vasculaires et pourraient aussi être une cible thérapeutique. Leur accumulation après néphrectomie conforte l’idée que les fonctions tubulaires sont importantes.
Nous avons touché les limites de l’évaluation du DFG. Je crois que la quête du raffinement est un peu vaine. Introduire la dimension tubulaire dans l’évaluation de la fonction rénale me parait essentiel, aussi bien pour identifier les patients à risque de progression qui pourrait bénéficier d’approches thérapeutiques innovantes que pour identifier de nouvelle cibles thérapeutiques. L’avenir est dans penser derrière le glomérule.
Un important papier vient d’être publié aujourd’hui sur l’utilisation du peptidome urinaire pour mieux identifier les patients à risque de dégradation de la fonction rénale. L’éditorial d’accompagnement est très bien. Il est probable que les années à venir vont voir émerger des outils moléculaires de ce type. Il y a encore un gros travail de validation pour montrer leur intérêt clinique pour le patient. Les années qui viennent s’annoncent passionnantes.
J’espère avoir répondu à Doc du 16.
Merci.
J’ai compris ceci : Tout est dans tout et réciproquement.
Donc on ne change rien : Je sais que je ne sais pas.
Variante : Connais-toi toi même.
Faut-il que j’évalue ma fonction rénale ?
Je dis non.
Bonne journée incertaine et vague.
Modianesque ?
J’avais espéré être plus clair, moins flou, je me suis planté alors. désolé.
Pour ma part, je trouve au contraire la réponse claire, merci….
Elle me conforte dans ma notion de rester simple (parce que la médecine, c’est déjà bien assez compliqué…) et de se référer à la clinique…..
La baisse de la DFG chez le sujet très âgé ne m’affole pas quand elle n’est pas en chute libre. Par contre, je suis plus que souvent confrontée, lors de mes remplacements (en médecine générale) à l’association AINS/ IEC ou AAII chez ces patients âgés souvent algique, et je frémis…. Y a-t-il un intérêt à contrôler la DFG pendant ce traitement, pour contrôler la tolérance rénale ? Ou l’éviter à tout prix ? (je parle de patients avec une DFG supérieure à 60, les autres je refuse la prescription, même si le remplacé le fait.)
Quant aux sujets jeunes avec une IRC, le principal c’est déjà de ne pas les perdre de vue….Le dernier que j’ai vu a 61 ans, en est au stade de pré-dialyse (DFG 17ml/mn) après une longue errance… rageante. (et seulement 5mg de ramipril pour une hypertension, avec en plus de l’hyperium…. ça ne sert plus à rien de monter le ramipril ? protéinurie 0.418 de mémoire).
Enfin j’ai plein de questions sans réponses, beaucoup plus « terre à terre » que le suivi de la cystatine C… même si je lis avec intérêt.
L’association AINS/bloqueur du SRAA est risquée, mais faisable sur de courte période sans gros risque. Le pb que je vois est plus sur l’habitude de prendre des AINS qui peut poser pb style l’AINS pendant la gastro-entérite sans arrêter l’IEC qui devient à haut risque de complications.
A 17 de DFG sans protéinurie, les IEC ne vont pas avoir un effet fantastique en terme de néphroprotection après pour contrôler la TA, oui. Par contre c’est le bon moment pour le bilan prégreffe.
Oki merci. Informer encore et encore les patients en espérant qu’ils ont compris… notre rôle de généraliste.
Le deuxième patient, je croise surtout les doigts pour qu’il ne disparaisse pas à nouveau dans la nature…