Santé mentale et études de médecine, les 11% ne sont pas une fatalité

« La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants » Karl Marx

Lu dans un tweet d’alain Mabanckou. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de commencer une note de blog par une citation du barbu incarnant le mal pour pas mal de gens. Elle me parait adaptée au sujet.

Le JAMA de cette semaine a, comme il en a l’habitude, fait un numéro spécial « éducation médicale ». Trois articles sur la santé mentale et le bien-être des étudiants en médecine ont retenu mon attention 00005407-201612060-00007 00005407-201612060-00012 00005407-201612060-00011. Le sujet m’intéresse pour des raisons personnelles. Il est important et il mérite de sortir des caricatures et du prêt à penser.

Le premier est une méta-analyse sur la fréquence de la dépression et des idées suicidaires chez les étudiants en médecine. Les résultats de ce travail, qui a dépouillé 195 articles incluant 129 123 étudiants dans 47 pays, montrent que 27.2% (9.3%-55.9%) des étudiants dépistés présentent des critères de dépression. Les idées suicidaires (24 études, 21 000 étudiants et 15 pays) sont présentes chez 11.1% (range, 7.4%-24.2%) des sujets étudiés.

Parmi les résultats importants, cette prévalence élevée de dépression n’a pas bougé avec le temps, de 1982 à 2015. Une donnée importante est l’évolution de la fréquence de la dépression au cours des études de médecine. Neuf études longitudinales (2432 sujets) suggèrent que cette fréquence augmente de 13,5% au cours des études avec de grandes disparités entre les études. Le fait de faire des études de médecine est  associé à  une augmentation du risque de dépression.

Enfin le résultat le plus effrayant peut être est que parmi les étudiants avec une dépression seulement 15,7% bénéficient d’un soin psychique. L’effectif est de seulement 954 personnes, mais c’est terrible de se dire qu’encore un fois les cordonniers sont les plus mal chaussés. Pour ceux qui vont me dire, mais dans cette tranche d’age est ce que ce n’est pas fréquent d’avoir des symptômes de dépression? La réponse est, le risque chez les étudiants en médecine est multiplié par 2 à 5 par rapport à une population du même age.

Après ce constat accablant, comment améliorer le bien être de l’étudiant en médecine? Une nouvelle méta-analyse essaye de répondre à cette question, seulement 28 études sont retrouvées, utilisant 7 approches différentes. Globalement, mettre en place un programme pour améliorer le bien être des étudiants semble utile à ces derniers. La qualité méthodologique n’est pas au rendez vous malheureusement, rendant les conclusions difficiles. Le gros intérêt de cet article est de montrer pour le béotien que je suis, les différentes approches possibles pour améliorer le bien être des étudiants en médecine. Un résultat, très intéressant, qui remet en cause pas mal de préjugés, est que les étudiants en médecine rapportent moins de stress ou de burn out plus ils passent de temps en clinique. A bon entendeur, salut.

Ces deux méta-analyses sont des mines sur le sujet. Je vous en conseille cette lecture. Elles sont accompagnées par un éditorial très intéressant, même si à mon avis, il ne touche qu’un aspect du problème. Il pointe les différents éléments structurels liés aux études médicales qui explique cette forte prévalence de souffrance psychique. Avant de les citer, nous, professionnels du soin allant de l’aide soignante au chef de service, devons répéter encore et encore que nous faisons un métier difficile et dur psychiquement. Nous sommes exposés à la souffrance, à la mort, au deuil, à la douleur, à la misère, au désespoir, à la violence d’une société qui ne veut pas faire de place aux plus fragiles. Nous sommes exposés en permanence à cette pression, à ce stress, qu’est de soigner le mieux possible avec le moins de temps possible, et en plus maintenant avec l’angoisse d’être pris pour des brutes. J’ai déjà écrit pourquoi je pensais que ce métier était un job un peu différent des autres. Pourquoi se coltiner avec la mort comme compagne n’est pas tous les jours faciles. Nous devons absolument et collectivement trouver des solutions pour améliorer la santé psychique des soignants, commencer au cours des études est une bonne stratégie. Ceci ne passera pas par la stigmatisation d’un lieu ou d’une catégorie. Il faut une prise de conscience du problème dans toutes ses dimensions qui vont du très individuels au très collectif qui est la structuration des études médicales. Ne s’attaquer qu’au versant individuel ou qu’au versant collectif ne résoudra rien. Nous devons envisager des mesures s’attaquant à tous les fronts. Nous devons absolument destigmatiser la souffrance psychique.

Pour revenir à l’éditorial, comme je suis universitaire et qu’il est toujours bon de balayer devant sa porte. Voici les éléments de culture des facultés de médecine qui ne font probablement pas du bien aux étudiants.

  1. La médecine est exigeante, donc pour préparer au mieux les futurs professionnels, les écoles de médecine doivent être exigeantes et rigoureuses. C’est le modèle on est des Marines ou une forme de darwinisme appliquée à l’éducation. Nous sommes probablement capable de former sans tuer psychiquement 30% des étudiants.
  2. La santé psychique est méprisée. Les facultés de médecine ont rarement un psychiatre comme doyen. Le somaticien méprise toujours  le psychiatre, même si il s’en défend. Avoir une maladie somatique fait toujours plus sérieux que la maladie mentale. La première est rarement stigmatisante, la deuxième toujours. De plus, la prévention en terme de santé mentale est rarement abordée.
  3. La structure hiérarchique des facultés avec des départements différents s’occupant de la pédagogie et des étudiants, parfois avec de la compétition pour les budgets. En France comme il n’y a de l’argent ni pour l’un ni pour l’autre, ça simplifie.
  4. L’administration des facultés de médecine ne s’intéresse pas vraiment à la santé psychique des étudiants, sauf quand c’est trop tard.
  5. Une des limites actuelles est de toujours se focaliser sur l’individu plus que sur l’aspect structurel. La prévention passe par des approches individus centrés plus que sur des modifications de la forme et du contenu de  l’enseignement. Il est nécessaire de travailler sur les deux. Ceci sous entends de penser que dans la santé mentale, l’individu est aussi important que son environnement et inversement. Vouloir trouver une solution sans prendre en compte les deux est voué à l’échec.

Il y a un énorme travail à faire sur ce sujet. Il est important pour plusieurs raisons, individuel, souffrir n’est pas une fatalité ou un rite initiatique. Tout ceux qui ont fait ou font du sport savent qu’à l’entrainement, il y a de la douleur mais elle doit être consentie et pas subie pour être constructive. Dans l’apprentissage de ce métier dur et difficile, une dose de douleur est inévitable, elle doit être anticipée, expliquée, analysée pour qu’elle ne détruise pas l’individu. Prévenir que c’est difficile, expliquer pourquoi et quand ça survient dire qu’il est important d’en parler rapidement sans tabou. Notre rôle en temps qu’éducateur est d’accompagner cette souffrance par de la générer volontairement ou involontairement. Il est aussi de notre devoir, d’aider certains à réaliser que leurs choix professionnels n’est peut être pas pertinent. A l’échelon collectif, former des professionnels qui vont bien dans leur tête ne peut qu’améliorer le soin. Le meilleur moyen de lutter contre les brutes, c’est l’éducation et la prévention de la souffrance psychique. La dépression ou les idées noires ne font pas des bons soignants. Nous devons avoir des moyens pour mieux comprendre la mécanique de l’apparition des troubles psychiques dans les facultés de médecine pour pouvoir réellement les prévenir. Le fait que depuis 40 ans la fréquence reste la même montre que probablement les mesures prises trop focalisées sur des choses qui paraissent évidentes ne sont pas les bons déterminants. Faisons de la vraie science pas du café du commerce sur un sujet grave.

Enfin pour motiver le libéral qui sommeille en vous tous, le coté financier, prévenir la dépression ou le suicide des médecins est économiquement une bonne idée. Former un médecin prend du temps et coute de l’argent. Prendre soin de lui est un bon investissement pour le système de santé dans son ensemble. Cette réflexion vaut bien évidement pour tous les autres soignants.

J’aurai encore plein de choses à écrire sur le sujet. Cette note est déjà trop longue. Je vais m’arrêter ici. J’insiste n’ayez pas honte de la douleur face à la mort d’un patient. Si vous souffrez, parlez en autour de vous, cherchez à comprendre pourquoi c’est douloureux. N’attendez pas que la souffrance vous submerge, vous engloutisse, sortir de ce trou est difficile, ne pas y tomber est mieux. A tous les gros futés qui trouvent la souffrance psychique un signe de faiblesse, laissez tomber vos attitude de machos d’un autre age, vous serez peut être un jour content d’avoir une oreille attentive quand ça vous tombera dessus. Personne n’est à l’abri.

Je finirai avec ma déclaration de conflits d’intérêts sur le sujet. J’ai fait partie des 11%.

Ce contenu a été publié dans Medecine. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

12 réponses à Santé mentale et études de médecine, les 11% ne sont pas une fatalité

  1. Vagal dit :

    Cela me fait penser à une anecdote…
    Lorsque l’épreuve de LCA des ECN fut annulée 2 fois il y a quelques années, j’étais interne, en stage chez le doyen de la fac.
    Au cours d’une discussion, je lui fais part de ma consternation et de mon inquiétude pour les D4 : le « bazar » sur cet examen aux lourdes conséquences pour leurs vies futures risquait de déstabiliser les plus fragiles.
    Réponse : « pour faire médecine il faut être solide ils en verront d’autres »

    Sinon, je n’ai pas lu les articles, mais une question me vient immédiatement à l’esprit : ces données ont-elles été comparées à celle de médecins seniors?
    Est ce le monde de la santé et le difficile métier que nous exerçons qui peut être en cause? Ou le fait que lorsqu’on est étudiant (quel que soit la branche), on commence à prendre des responsabilités, à construire son avenir, et que cette période d’incertitude peut être difficile à vivre?

  2. douchka dit :

    Je suis psychiatre. J ai été ,donc de fait , étudiante en médecine. A chaque fois que je passe près de ma fac, je ressens cette boule a la gorge … Quasi SSPT !!! Merci encore pour la clarté de vos écrits toujours objectifs et justes. Ce que je retiens et qui en mon sens résume tout  » il faut destigmatiser la souffrance psychique  » . c est mon crédo.
    Encore merci.
    PS: j ai faisune partie de mon cursus dans une fac du Nord de la France…et j avoue que j y ai souffert aussi beaucoup….

  3. Lupus dit :

    Bonsoir. Je ne sais pas vraiment ni par où, ni comment commencer mon commentaire. Merci peut-être ? Je suis actuellement en cinquième année de médecine. Il y a encore une semaine j’étais prête à tout arrêter, à faire une passerelle; tout, mais surtout sortir de ces études qui me font beaucoup de mal. Oui c’est difficile, oui pour tout le monde, et oui on le sait depuis le début, dès que l’on s’engage dans ce long parcours. Mais « on a de la chance » de faire ces études, on doit « penser au confort et à la qualité de vie » que cela nous assurera, etc etc. Biensûr, ce sont des arguments qui ont du poids. Mais à quel prix…? depuis que l’externat a commencé je pense pouvoir affirmer que je n’ai jamais été aussi peu épanouie de toute ma vie (évidemment cela n’est pas représentatif en ayant que 22 années derrière moi). Pourquoi? C’est dur. Oui, biensûr, cela l’est pour tout le monde, mais j’avoue ne pas supporter aussi bien que certains de mes amis et collègues le rythme et la pression inhérents à ces études. Et pourtant… Pourquoi choisit-on de devenir médecin? Pourquoi en-a-t’on l’envie? Il y a forcèment une raison valable et un désir qui nous y poussent, voire une vocation. C’est mon cas je crois. J’ai envie de devenir médecin, avec sincérité. Mais le sentiment d’impuissance face à ces études, ces exigeances, et ce manque d’accompagnement est si décourageant. Et c’est tellement dommage de remettre ses projets en question à cause des ces obstacles qui ne devraient pas en être. J’entends par la que la difficulté est indissociable de ces études et du métier de médecin. Mais elle pourrait être abordée différemment, effectivement l’écoute et le soutien des étudiants en ressentant le besoin devrait, au même titre que les entraînements anarchiques aux iECN; faire partie intégrant de notre formation, de la pédagogie… On nous demande d’être empathique, à l’écoute, et altruiste; des qualités, qui sont, à mes yeux, fondamentales pour devenir médecin. Mais, qu’en est-il si personne ne l’est à notre égard..? et, si, alors, effectivement, 11%des futurs médecins ont (ou ont eu) des idées suicidaires à cause de leurs études…? Comment devenir un bon soignant quand l’on vit soi même difficilement ce rôle, par défaut d’accompagnement (notamment)?Par manque d’empathie, d’écoute…?
    Ce commentaire est totallement destructuré et sans doute…un peu ridicule; pardonnez moi, tout cela est, de même, difficile à démêler pour moi même.
    En tout cas, merci pour cet article. Juste Merci, il fait du bien. Et à beaucoup, je pense, qui passent ou sont passés par là.

    • PUautomne dit :

      Merci pour votre commentaire, je pense qu’il ne faut pas avoir peur de parler de ses questions face à ces études et je trouve très bien que vous l’exprimiez de façon assez claire. Mon conseil est d’en parler sans tabou, de préférences à des personnes qui ne vont pas vous servir des lieux communs que vous citez. Je ne peux que vous conseiller d’aller rencontrer un professionnel qui pourra vous aidez.

    • Michel dit :

      Merci pour votre beau témoignage. Je suis retraité depuis quelques mois et je suis particulièrement préoccupé par ce malaise qui touche tous les professionnels de santé. J’ai aussi traversé des difficultés comme bon nombre d’entre nous mais, je vous souhaite de terminer vos études et de vous épanouir : c’est un très beau métier que vous avez choisi. Notre société a bien tord de malmener de la sorte le monde des soignants.

  4. Cette note est precise intelligente et humaine.je la diffuserai au DMG si vous êtes d »accord

  5. Je retiens particulierement
    La souffrance n’est pas 1 rite initiatique
    Nous faisons un métier éprouvant
    Je pourrais en citer d’autres « le machisme  » toxique pour soi même
    Le regard sur les personnes (quand il y en a) sans mise en place plus globale
    Je peux tout valider Merci

  6. dsl dit :

    Ce qui me semble le plus frappant, c’est l’omniprésence de la souffrance à l’hôpital, et le fait qu’il soit en quelque sorte « normal » de ne pas la ressentir. L’hôpital est un immense cimetière, un immense charnier mais sans aucune croix, sans aucune fleur.
    Comment s’étonner dans ces conditions de former des professionnels assez peu capables de gérer cette souffrance ?

  7. Pascale Macé dit :

    Oui, nos études sont difficiles, oui, nous sommes confrontés à la souffrance. Mais ce qui m’interpelle le plus c’est la constatation de Lupus :
    « On nous demande d’être empathique, à l’écoute, et altruiste; des qualités, qui sont, à mes yeux, fondamentales pour devenir médecin. Mais, qu’en est-il si personne ne l’est à notre égard..? »
    J’ai eu l’impression durant mes études d’être plus souvent confrontée à des encadrants hospitaliers (profs, chefs de clinique, surveillantes …) terriblement suffisants, dominateurs, méprisants, égocentrés qu’empathiques et attentifs à la personne de l’étudiant. J’ai trop vu de chefs de service humilier les étudiants, de préférence en public, et devant des « étrangers » au service. J’en ai vu d’autres les rendre totalement transparents (vous n’existez pas, vous ne servez à rien car vous ne savez rien et vous ne saurez jamais rien), j’en ai vu harceler, pratiquer la double contrainte (Taisez-vous et répondez à ma question). J’en ai bien peu vu partager, vraiment partager, leur savoir, comme un compagnon sachant à un compagnon apprenant, humblement, sans morgue. Et rien n’a changé, comme ils étaient il y a 40 ans, ils sont aujourd’hui. Ce qu’ils ont subi, ils le font subir aujourd’hui.
    Le changement premier serait d’expliquer aux encadrants qu’ils sont ici par hasard et non pas du fait de compétences exceptionnelles, et que cela ne leur donne en rien le droit de ce conduire en despotes.

  8. Pascale Macé dit :

    se conduire

  9. PUautomne dit :

    C’est avec un grand intérêt que nous avons lu votre article sur la santé mentale des étudiants en médecine.
    L’association SPS « Soins aux Professionnels de Santé » s’est engagée pour créer une prise de conscience de la souffrance psychologique des soignants par leurs pairs et la société. Depuis 2 ans, nous avançons avec des actions concrètes : colloques sur la vulnérabilité des soignants, travail avec les institutions et depuis Novembre 2016, mise en place d’une plateforme d’écoute psychologique.
    Si nos actions vous intéresse, vous pouvez vous rendre sur notre site http://www.asso-sps.fr ou nos réseaux sociaux.

Répondre à Pascale MacéAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.