J’emprunte le titre à la très bonne émission de JN Jeanneney sur France culture. Je viens de voir que c’est un bon choix.
Je vais commençais avec un mauvais livre que je ne vous conseille pas. Il a bénéficié à sa sortie d’une bonne presse. « Zimmer » de Olivier Benyahya, le projet était intéressant, il bascule vite dans le grand guignol puis le pathétiquement ridicule, n’est pas Céline ou Gide qui veut. Il ne suffit pas d’avoir des mauvais sentiments pour faire de la bonne littérature. L’histoire d’un vieux juif rescapé des camps qui devient un meurtrier à 82 ans, le parcours d’un vieux dément. J’aime bien Allia comme maison d’édition mais là je suis franchement déçu. Je suis un peu dur mais je suis d’autant plus déçu que je trouve l’écriture de l’auteur plaisante. Une accumulation de clichés et de contre clichés ne suffit pas à faire oeuvre, dommage.
Pour continuer dans l’éloge du vice et du mal, une lecture étrange « éloge de l’imprudence » de marcel Jouhandeau, uniquement pour les fans de cet auteur connu pour avoir lancé un prémonitoire « Rentrez chez vous, dans dix ans, vous serez tous notaires » aux étudiants de mai 68. Ce court texte, difficile à lire parfois, est une éloge du mal absolu qui devient une expression du bien. C’est tortueux, tout ça pour justifier une homosexualité mal assumée. Jouhandeau est connu pour un pamphlet sans intérêt: « le péril juif ». Je me demande si le héros de « Zimmer » a lu Jouhandeau, il applique assez bien la leçon de son éloge de l’imprudence.
En régle général, je me méfie comme la peste des lectures médiatiques, j’avais évité avec soin « Indignez vous » de Stéphane Hessel. Ma femme l’a acheté, il trainait à la maison, je l’ai lu au soleil ce matin. Après les deux précédents livres, une bouffée d’oxygéne de lire enfin des pages optimistes qui militent pour un monde plus juste. Un très beau texte qui rappelle simplement d’où nous venons.
Le programme du Conseil National de la Résistance reste d’actualité, en particulier son versant santé. C’est une bonne piqure de rappel, pour savoir où aller, de savoir d’où nous venons. On peut avoir plus de 80 ans, être juif, avoir été en cas de concentration et ne pas avoir envie de tuer des arabes. Il faut que Zimmer lise Hessel. C’est un texte réjouissant, de combat. Greco n’est pas mort. Il faut l’acheter (c’est important de soutenir les petites maisons d’éditions), le lire et ne pas baisser la tête.
Au milieu de ces livres, j’ai lu deux articles de la revue des deux mondes de Février sur la bioéthique. Il y a une interview de l’excellent Didier Sicard et un entretien croisé de Jacques Testard et de JM Le Méné. Ces deux entretiens sont à lire pour comprendre quelques choses aux enjeux des lois de bioéthiques.
Didier Sicard a une remarquable analyse en défendant l’éthique à la française qui repose sur des principes (un éthique rêveuse) avant d’être une éthique utilitariste plus anglo-saxonne. Il rappelle que le problème de nos positions est de se limiter à des valeurs et de ne pas assez mettre les mains dans le cambouis. Le français ne doit pas que rêver mais aussi se frotter au réel. Son approche de l’éthique est très intéressante. Elle n’est pas là pour dire le bien ou le mal mais pour tenter de compliquer la réflexion, pour obliger les individus à se poser des questions sur leurs positions. Toute question éthique porte en elle, une contradiction, pour ne pas dire un indécidable (à lire une petite introduction à Turing ici, c’est une autre lecture du WE), pour y répondre la notion de « moindre mal » est une voie, la seule qui respecte les ensembles des participants. Il cite cette très belle phrase de Montesquieu:
« Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose d’utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose d’utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime. »
Le but de l’éthique, en particulier en bioéthique, est de trouver une solution réduisant l’écart entre l’intérêt personnel et l’intérêt collectif. On rejoint les questions soulevées par l’ouvrage de Hessel. Comme je suis néphrologue, j’aime la notion d’équilibre et cette approche me convient entre utilitarisme et rêve. En fin d’entretien est abordé trop briévement la question de l’information de la famille des patients atteints de maladie génétique. Il faudra qu’un jour j’y revienne.
L’autre entretien est aussi très riche en piste de réflexions. Une fois de plus, c’est un cri d’alarme contre la tentation d’avoir uniquement une approche utilitariste de l’éthique mais aussi de la biomédecine. Je trouve l’analyse pertinente, particulièrement concernant le DPI et l’obsession des cellules souches. Ils décortiquent les intérêts économiques sous-jacent. Si vous vous intéressez à ces questions vous devez lire ces textes.
Malheureusement, l’esprit utilitariste prend le pas sur toutes autres visions.
Dans le domaine de la reproduction, je suis convaincu que la marche dissociant sexualité et reproduction va se prolonger et s’approfondir. Dans 20 ou 30 ans, je suis persuadé qu’on proposera à toutes les jeunes femmes d’une vingtaine d’années un prélévement de tissu ovarien qui sera congelé. Quand il y aura un désir de grossesse après 30 voir 40 ans, on décongélera pour produire des ovocytes, la fécondation se fera in vitro et un diagnostic pré-implantatoire sera systématiquement fait, voir plus, sexe, couleur des yeux, taille, etc. On proposera aussi une gestation par une autre si les moyens de l’impétrante le permettent. La quête de la performance contamine tous les champs même ceux les plus intimes.
Je rejoints J. Testard quand il regrette que les lois de bioéthique n’anticipent pas plus les développement de la recherche, ce qui est possible. Ce n’est pas près de s’améliorer vu ce qu’est en train de devenir le CCNE. Je ne suis pas optimiste, il faudrait que je m’indigne un peu plus.
J’aime bien quand mes lectures se font écho.
et font écho aux autres… Lecture et écriture : un WE bien rempli !
C’est effectivement encore mieux. Merci, je vous ai épargné mes lectures plus scientifiques.
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