Livres 2023 B

« Jardins de poussière » de Ken Liu, avec ce recueil de 25 nouvelles Ken Liu confirme qu’il est un très grand monsieur de la science fiction. Vous pouvez vous jeter dessus, même si vous n’aimez pas le genre, vous trouverez quelques nouvelles qui vous parlerons. Il explore tous les genres du space opera qui donne le titre au recueil, à la fantasy, en passant par l’uchronie, la hard science et un genre où notre monde ne change que sur un détail technologique. Le recueil est dominé par notre rapport à la technologie. Il interroge tous les aspects de la création des objets par l’humain avec leurs impacts. Vous découvrirez son attachement et l’importance de l’art, il montre de façon très élégante et touchante que cette variable d’ajustement qu’est la culture peut sauver un bout d’humanité. Il y a plusieurs nouvelles qui imaginent que l’humanité quitte son enveloppe corporelle pour être chargé dans un data center. Elles sont troublantes et posent plein de questions. L’uchronie « Une brève histoire du Tunnel transpacifique » est à lire. « Nul ne possède les cieux » parle de la guerre, du rôle du scientifique et ce qu’il se passe quand il réussit. « Ce qu’on attend d’un organisateur de mariage » ou quand l’homme devient un terrain de jeu pour une espèce extraterrestre. « Empathie byzantine » est une très grande nouvelle, elle s’intéresse à comment nous choisissons nos priorités humanitaires. C’est violent et une bonne vieille discussion entre raison et émotion à la sauce blockchain. « Vrais visages » aborde la question de comment nous pourrions limiter nos biais cognitifs face à nos interlocuteurs et les limites de ces outils, franchement très bonne nouvelle encore. J’aurai pu citer toutes les nouvelles. Sachez que vous passerez un moment de lecture très agréable, distrayant et qui vous fera réfléchir.

« Conseils d’1 disciple de Marx à 1 fan d’Heidegger » de Mario Santiago Papasquiaro, un peu de poésie dans un monde de brutes. Ce texte peut être vu comme un des textes fondateurs de l’infraréalisme. Un long poème qui s’interroge sur l’absurdité du monde et sa violence. Je ne conseille ce petit livre que pour les fans de cette école littéraire dont le représentant le plus connu est Roberto Bolaño.

« Les anneaux de saturne » de W.G. Sebald, ma découverte de l’année qui confirme que 2023 sera pour moins une année littéraire exceptionnelle. J’ai lu ce livre uniquement car il est cité dans le dernier john Le Carré que j’ai particulièrement apprécié. Ce texte est une splendeur. L’auteur est un immense écrivain. Le propos est une randonnée dans le Suffolk, une boucle de Norwich à Norwich en 10 chapitres. Il est proche dans la construction de « Glose » de Sraer qui lui raconte sa marche le long d’une rue. Ici, plusieurs jours ponctués d’aventures du quotidien qui deviennent des moments fantastiques ou des digressions intellectuelles et littéraires toujours adéquates et brillantes servies par une écriture poétique. J’ai aimé me promener avec l’auteur le long des rivières anglaises et du littoral de cette cote qui fait face à la Hollande. J’ai aimé ses évocations du colonialisme brutal (Congo belge et Conrad), de notre surexploitation de la nature (Vers à soie, harengs, etc), ces rencontres avec des personnages plus que pittoresques aussi bien les vivants que les morts (son évocation de Chateaubriand est bouleversante), sa relation à la maladie, la peur de la mort. Le livre est d’une richesse et d’une profondeur incroyable, servi par une érudition impeccable. Il est rare de trouver une telle combinaison entre poésie, réalisme, érudition, amour des textes, amour de la nature et fantastique. J’ai forcément pensé à Bolaño, à Sraer, à Borges. L’écriture est magnifique, il arrive à dérouler son texte avec la facilité d’une ballade sans effort, comme si il n’y avait aucun travail. Du très grand art, il va m’accompagner pendant quelques temps, WG Sebald.

« J’envisage l’impossible » d’Arthur Navellou, un petit recueil de poèmes chez Iconopop. Je vous ai donné un petit échantillon de ce volume, ici. Ce n’est pas le meilleur recueil de la collection mais pas le pire.

« Dans la nuit » d’ETA Hoffmann, une très belle traduction de 5 contes du maître du réalisme fantastique et une belle édition de ces classiques du genre avec des dessins aussi inquiétants que les aventures de ces hommes. C’est très genré, les femmes ont rarement le beau rôle quand elles sont actives sinon elles sont passives. Dans le diable de Berlin vous penserez immanquablement à Boulgakov. La postface sur le fantastique et sa balance avec la psychanalyse est franchement très intéressante. A s’offrir pour l’intérêt historique et pour soutenir une remarquable maison d’édition marseillaise.

« Et pourtant je m’élève » de Maya Angelou, j’ai honte de découvrir la poésie de cette autrice si tard dans ma vie. Je n’ai rien à dire, si ce n’est lisez là. Des textes percutants et qui n’ont pas pris une ride. A lire absolument. La traduction est passionnante. Indispensable.

« Je suis une fille sans histoire » d’Alice Zeniter. Un essai sur la masculinité dans la littérature et comment on a virer les femmes de cette dernière, c’est intelligent, drôle et particulièrement bien écrit. Un must read pour comprendre comment le genre nous écrase dans le récit, ce qui explique pourquoi il est capital de faire de l’écriture inclusive. Passez vos livres préférés au test de Bechdel, vous ne serez pas déçu. Son dialogue avec l’auteur de la « Poétique » est très drôle et d’une justesse terrible. Son analyse de la manipulation de nos idées par les médias est totalement d’actualité. Elle renvoie aussi à une très belle théorie de l’immense Ursula Le Guin, la Fiction-Panier. La dernière référence majeure sur la littérature est un article d’Eco que j’ai lu il y a un bon bout de temps et qui est un classique pour comprendre que notre vie est narration et inversement (Quelques commentaires sur les personnages de fiction). C’était après une lecture des Onze de Michon. Nous ne faisons que raconter des histoires. Je n’avais pas bien compris à l’école pourquoi nous passions du temps à faire du commentaire de texte, à démonter la mécanique de la narration. Alice Zeniter m’a enfin, mieux vaut tard que jamais, fait comprendre pourquoi la critique du récit est capital pour agir en temps que citoyen. Si j’étais prof de Française vers la troisième ou la seconde je donnerai à lire « je suis une fille sans histoire » avant d’attaquer le programme. Cette lecture est fortement recommandée.

« Plus de like que d’amour » Dorian Masson, vous pouvez sauter ça.

« Enracinées » de Pauline et Anouk Delabroy-Allard, un exercice difficile la poésie à 4 mains surtout quand on est sœur. Il est parfaitement réussi. La famille n’est jamais une histoire simple. Il faut savoir aussi tourner la page, évoluer, même si c’est difficile parfois. Un texte touchant qui raconte ce qu’est la différence d’âge, le commun et le plus commun, c’est très joli. Derrière la mélancolie, j’ai lu la joie d’être famille. A lire et encore merci à l’iconopop pour ces pépites contemporaines et féminines.

« Des choses sans importances » de Lilia Hassaine, encore une autrice brillante, tous les poèmes sont ciselés et fond mouche. Elle nous fait sentir comment ces petites choses du quotidien font notre vie. Très agréable lecture. Envie de lire sa production romanesque.

« Contes de la solitudes » de Ivo Andric, la démonstration qu’on peut être prix Nobel et un auteur incroyable. L’écriture d’Ivo Andric est puissante. Je n’ai jamais rien lu de lui avant, ces nouvelles sont d’une puissance évocatrice incroyable. Vous ne sortirez pas du recueil sans avoir en tête des images, celle de l’esclave, celle du cirque, celle de cette servante sur le pont. En maximum 20 pages un monde s’ouvre à vous, on passe de personnages historiques à des inconnus. Ils lui rendent visite dans sa maison de Sarajevo et il conte leurs aventures ou plus souvent leur mésaventures. Le changement de discours dans les nouvelles est une constante. Il y a quelque chose du jazz dans ces pièces. Ces nouvelles sont un précis de création littéraire. Comment les héros s’imposent à l’auteur comment ils viennent lui parler, le forcer à les écouter et finalement comment il doit raconter leur histoire. Ce recueil est du très grand art, un choc littéraire rare. C’est le deuxième auteur de l’ex Yougoslavie que je lis après Goran Petrovic et ses incroyables « Soixante-neuf tiroirs » et bien je ne suis vraiment pas déçu. Je ne peux que conseiller, encore une fois, de lire ces contes. Je sais que je les relirai car ils sont beaux et compliqués comme notre vie.

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Une réponse à Livres 2023 B

  1. docdu16 dit :

    Bonjour,
    A propos de Sebald (dont j’ai lu les livres traduits en français), il faut dire ceci : il ne dit pas toujours la vérité, il brode, il ne recopie pas wikipedia (cela n’existait pas à l’époque) mais il invente une sorte de Sebaldpedia où le faux et le vrai se mêlent. JM Coetzee dans « Inner workings. 2000-2005 » critique Sebald de façon très virulente.
    Sebald fait aussi penser à Danube de Claudio Magris…

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