La méthode, toujours regarder la méthode

Si la COVID19 devrait nous avoir appris quelque chose, c’est que la méthodologie c’est important. Le néphrologue a une pratique utilisant largement les valeurs biologiques. La production d’un sens à une valeur chiffrée est un continuum qui va du prélèvement à l’analyse du résultat par le prescripteur en passant par le transport, l’analyse au sein du laboratoire et le rendu du résultat. Chacun de ces moments est à risque d’erreurs méthodologiques. Il faut savoir les identifier et connaître les limites des valeurs rendues. Un chiffre n’est qu’un chiffre sans intérêt si il n’a pas d’unité et si il ne s’intègre pas dans l’histoire clinique et biologique du patient. Souvent nous demandons les antériorités car une valeur isolée à peu de sens.

J’aime beaucoup les gliflozines. Je suis convaincu que c’est une classe thérapeutique aussi importante que les bloqueurs du SRAA pour les patients avec une maladie rénale chronique. Ces molécules marchent d’autant mieux que le patient est protéinurique, ce qui est logique car il est plus à risque de dégradation. La protéinurie est souvent prise comme un critère d’efficacité de nos stratégie de néphroprotection et comme il n’est pas si facile de faire pipi pendant 24 h dans un bocal, nous utilisons quasiment tous le ratio albuminurie sur créatininurie (le RAC) pour évaluer notre prise en charge thérapeutique. Deux choses peuvent faire diminuer le RAC, la diminution de l’albuminurie (l’effet attendu) ou l’augmentation de la créatininurie (pas vraiment ce qu’on espère, quoique chez le patient dénutri, c’est pas mal). Tout phénomène qui modifiera la valeur de créatininurie sans faire bouger l’albuminurie pourra fausser votre analyse. En plus du ratio, il faut regarder les valeurs absolues pour voir si elle sont cohérentes dans le temps ou avec la clinique du patient. Si votre patient(e) se met à faire du bodybuilding et que sa masse musculaire explose, il va y avoir une augmentation de la créatininurie et avant d’être ravi de sa baisse du RAC vérifie si l’albuminurie diminue un peu quand même, ce qui est peu probable, mais c’est une autre discussion.

Un article récent illustre bien l’importance de savoir comment on dose une valeur biologique et les interférences qu’il peut y avoir. Une équipe anglaise s’est amusée à doser le RAC en rajoutant du glucose dans le pipi des patients et voir ce que ça faisait sur la valeur du RAC en fonction de la méthode de dosage de la créatininurie. Il compare la méthode de référence enzymatique à une méthode qui ne coûte pas cher le Jaffe. Ajouter du glucose dans l’urine mime une prise de gliflozine.

Avec la méthode enzymatique, pas de problème pour le dosage de la créatininurie, le glucose ne fait rien sauf à des concentrations que vous ne verrez jamais chez un.e insuffisant.e rénal.e chronique avec des gliflozines. Par contre la méthode de Jaffé s’accompagne d’une surestimation de la valeur de créatininurie, surtout pour les valeurs les plus basses et à toutes les concentrations de glucose utilisées. Cette surestimation s’accompagne d’une sous estimation du RAC. La présence d’une glycosurie donne à croire dans quelques % de cas à une fausse réduction de la protéinurie qui n’est qu’un artefact de dosage de la créatininurie. Vous verrez que pour les rares valeurs au dessus de 10 mmol/l on a le phénomène inverse. En pratique, il faut demander à votre laboratoire d’utiliser une technique enzymatique pour le dosage de la créatininémie dans les urines comme dans le sang. Ainsi vous ne serez pas embêter pour interpréter le RAC. Il est amusant et un peu inquiétant de constater que les auteurs dans tous les essais pivots sur l’utilisation des gliflozines, sauf un, n’ont pas trouvé la méthodologie utilisée pour doser la créatininurie. Je vous laisse en tirer les conclusions qui vous plaisent. Je rappelle que le critère principal d’évaluation n’était pas la modification du RAC, c’est un critère secondaire. Il n’empêche qu’on aimerait bien savoir si il y a un risque de biais dans tous les papiers RAC publiés avec les gliflozines.

Note écrite avec l’aide de Julian Lage et de son nouvel album The Layers.

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