De la courbe (de poids) en U et de son interprétation.

On me dit dans l’oreillette que mes lecteurs viennent surtout pour entendre causer de médecine, après un intermède musical, revenons à nos moutons. J’espère vous avoir convaincu que nos comportements peuvent avoir un impact sur notre vie. Dominique pense qu’être gros est une destinée. Je ne partage pas son opinion. Ce n’est pas très grave. De la diversité nait la connaissance. Tout le monde a une idée sur le poids idéal. Sur ce sujet, on ne parle, comme par hasard, jamais de conflit d’intérêt. Il faudrait que tout auteur écrivant sur le sujet donne son index de masse corporel (IMC ou BMI pour les anglophones). Une analyse des données de la littérature en fonction de cette donnée anthropomorphique de base serait très intéressante. Elle ne verra jamais le jour, mais bon je serai très curieux de voir les résultats.

La médecine, plus précisément l’épidémiologie médicale, adore les courbes en U. Juste une question de bon sens, trop ou pas assez ce n’est pas bon, tout est dans la modération. Des courbes en U partout, glycémie, pression artérielle, même le débit de filtration glomérulaire n’échappe pas à cette tendance. Une petite fille de la courbe en U est l’association inverse, le néphrologue est un grand spécialiste de ce truc. J’ai appris, il y a longtemps maintenant, à me méfier de ce dernier phénomène. Ce papier reste un modèle dans l’interprétation de ce phénomène, il cause de cholestérol et de maladie rénale chronique. Une des courbes en U les plus connues est celle du poids, bel exemple ici. Être trop maigre ou trop gros, ce n’est pas bon. Ceci est frappé par le sceau du bon sens. L’IMC normal est de 18,5 à 24,9. La majorité des études retrouvent un sur-risque de décès quand le BMI passe sous les 22. Ceci pourrait suggérer la nécessité de revoir la norme.

Des auteurs se sont intelligemment dits, cette courbe en U ne serait elle pas juste un artefact, lié à des comorbidités? Dans la méta-analyse du BMJ, il y avait un signal pour ça, car le BMI idéal pour la survie était entre 22 et 24 si vous aviez fumé et entre 20 et 22 si vous n’aviez jamais touché à la cigarette. Mais un IMC normal bas inférieur à 20 ou 22 jusqu’à 18,5 était associé à un sur-risque de décès. Sous les 18,5, il n’y a pas de discussion, la dénutrition tue et nous devons tout faire pour lutter contre. La première figure des supplementary data le montre clairement.

courbeu_grosL’hypothèse des auteurs repose sur le fait que les BMI normaux bas pourraient être le reflet de comorbidités entrainant une dénutrition. La caricature serait de mettre un patient avec un cancer métastatique dans une étude avec une analyse du BMI. Son BMI est normal bas du fait de sa pathologie, il va mourir, la dénutrition joue un rôle, mais ce qui cause la baisse de l’IMC et le décès, c’est le cancer. Il faut bien sur dans ces situations lutter contre la dénutrition. Pour explorer ce problème, ils ont décidé d’ajuster la survie en associée au BMI en découpant les groupes de BMI en fonction d’un score de vie saine.

Ils ont inclus 39 284  hommes de la HPFS et 74 582 femmes de la NHS suivi pendant 32 années. La méthodologie est de qualité, autant que je puisse en juger. Ce qui est très bien, c’est d’avoir utiliser le dernier BMI avant le décès pour l’analyse. Les déterminants d’un style de vie à faible risque sont 1) ne jamais avoir fumé, 2) Avoir une activité physique quotidienne d’intensité modérée à intense de plus de 30 mn/jour, 3) une consommation d’alcool modéré de 5 à 15 g/j d’alcool pour les femmes et de 5 à 30 pour les hommes, 4) un score AHEI (alimentation) dans les 2 quintiles les plus haut. Les comportements sont évalués tous les 2 ou 5 ans. Il sera fait des ajustements pour d’autres comorbidités.

La figure importante est celle ci.

gros_2016Le groupe de référence est BMI entre 22,5 et 24,9 sans facteur de vie saine. Dans le groupe sans comportement protecteur, vous voyez la courbe en U classique, notez que le surpoids (IMC 25-29,9) n’a pas d’impact sauf sur le risque cardiovasculaire. Dès que vous accumulez des facteurs de vie saine, vous perdez l’aspect de courbe en U, il n’y a plus de surmortalité si votre BMI est entre 18,5 et 22,4. L’essentiel de l’effet du surpoids se fait sur la mortalité cardiovasculaire. Vous voyez que pour cette dernière, si vous avez un BMI supérieur à 30 malgré 3 ou plus facteurs de vie saine, vous perdez le bénéfice de ces derniers. La même analyse faite uniquement sur les patients n’ayant jamais fumé, fait complétement disparaitre la courbe en U à tout les niveaux. L’IMC > 30 est toujours associé à une moins bonne survie.

gros_santabacSi vous avez un IMC entre 18,5 et 22,4 et que vous avez 3 ou plus facteurs de vie saine, votre risque de mourir diminue de 61% par rapport au groupe de référence IMC entre 22,5 et 24,9 sans facteur de vie saine. Perdre du poids, faire de l’exercice, manger sainement, boire un peu d’alcool et surtout ne pas fumer sont des comportements intéressants si vous voulez gagner quelques années de vie probablement en meilleure santé.

Cet article est important. Il montre bien qu’avoir une bonne hygiène de vie est toujours bénéfique. C’est un bel exemple de prise en compte des facteurs confondants. Ce serait un très beau sujet de lecture critique d’articles. Pour les étudiants qui préparent l’ECN, je rappelle qu’à partir de cette année l’article sera en anglais. Je ne peux que vous conseiller de lire des articles dans la langue de Carver.

La surcharge pondérale a un impact négatif et viser un IMC entre 18,5 et 22,4 semble un objectif intéressant en particulier pour le risque cardiovasculaire. Le début de la courbe en U du poids est morte. Bien évidement, les IMC inférieurs à 18,5 ne sont pas souhaitables et nous devons lutter avec la même énergie contre la dénutrition et l’excès de poids. Comme toujours en physiologie, tout est une question de mesure et d’équilibre.

Je ne résiste pas à vous proposer un extrait d’un album que j’ai redécouvert récemment. Le diable est dans les détails.

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[audio: https://perruchenautomne.eu/wordpress/wp-content/uploads/2016/11/01-Evil.mp3]
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7 réponses à De la courbe (de poids) en U et de son interprétation.

  1. Dr MG dit :

    Bonjour

    Je m’étonne qu’à aucun moment il n’est fait mention de l’effet délétère du stress.
    Peut être parce qu’il est difficile à mesurer ?

    • PUautomne dit :

      Le stress peut à la fois être délétère et bénéfique, tout de dépend de son niveau et de la définition qu’on lui donne.
      Il a été montré assez clairement que le stress oxydatif est une bonne chose pour pas mal de processus cellulaires et aussi au niveau de l’organisme entier pour certaines pathologies comme le cancer, alors que il a été longtemps enseigné que c’était le mal absolu.

  2. U. Ucelli dit :

    On peut aussi faire l’hypothèse sur cette association, qu’ un facteur causal (ou plusieurs) participe à l’origine à la fois de l’obésité ou du surpoids, et de la morbimortalité accrue ou d’une partie d’icelle, non ?

    • PUautomne dit :

      Bien sur, ceci est tout à fait possible, l’excès d’apport en calories est par exemple un très bon candidat pour expliquer la prise de poids et le sur-risque de mortalité. Dans des modèles animaux ceci fonctionne très très bien.

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