Potassium et insuffisance cardiaque

La kaliémie est un soucis quotidien pour le néphrologue. Il doit  l’être pour le cardiologue et pour tout médecin prenant en charge des patients avec une insuffisance cardiaque comme le montre cet article.CIRCULATIONAHA.117.030576.full

Les auteurs espagnols de cet excellent papier ont exploré l’association de la kaliémie avec la survie, après leur sortie, des patient hospitalisés pour une poussée d’insuffisance cardiaque. La première kaliémie recueillie est celle de la sortie. Ils ont regardé la dynamique du changement de kaliémie durant le suivi et son impact sur la mortalité (une médiane de 5 kaliémies (2-78) après la sortie). 2164 patients ont été inclus avec un suivi médian de 2,79 années. 1090 patients sont morts durant le suivi (le taux de mortalité incident est de 15% personne-année). 71,7% sont d’origine cardiovasculaire. L’age moyen est de 73 ans avec un sex-ratio équilibré, la moitié des patients ont une fraction d’éjection supérieur à 50%. La kaliémie médiane de sortie est de 4,3+/-0,48 mmol/l, 3,6% sont hypokaliémiques (inférieur à 3,5 mmol/l), 5,6% sont hyperkaliémiques (supérieur à 5 mmol/l). Les patients hyperkaliémiques sont plus « graves » que les autres et reçoivent moins de traitements de l’insuffisance cardiaque. Les hypokaliémiques ont juste reçu plus de diurétiques.

16116 mesures de la kaliémie vont être utilisées pour ce travail, normales dans 88,7% des cas, hyperK dans 7,8% et hypoK dans 3,5% des cas. Une valeur de normokaliémie (NK) est suivie dans 83,3% des cas d’une valeur NK, dans 2,6% des cas d’une valeur hyperK et dans 0,92% des cas d’une valeur hypoK. L’observation hypoK sera suivie dans 62,4% des cas d’une valeur hypoK, dans 23,9% d’une valeur NK et dans 1,4% d’une hyperK. Pour l’hyperkaliémie, la valeur suivante sera dans 60,2% des cas une hyperK, dans 23,3% une NK et dans 0,24% des cas une hypoK. Ce résultat est très intéressant, il est difficile de corriger la kaliémie, même l’hypoK alors qu’il suffit d’apporter du potassium. J’aurai bien aimé avoir la valeur de magnésémie…

L’hypokaliémie est associé à la mortalité avec un HR de 2,35 (95% CI:1,40-3,93,
p=0.001) et pour l’hyperkaliémie le HR est de 1,55 (95% CI:1,11-2,16, p=0.011). Si on prend l’ensemble des valeurs pour un individu de kaliémie (K cumulative, la kaliémie est ici traitée comme une variable continue), les même résultats sont obtenus (ajustement multivarié).

Vous remarquerez que pour le coté hypoK, ceci devient significatif quand le potassium passe sous les 3 mmol/l et pour le coté hyperK quand la valeur dépasse 5,5 mmol/l. L’hypoK et l’hyperK ne sont pas les meilleures amies du patient avec une insuffisance cardiaque.

Que ce passe-t-il si le médecin arrive à corriger la kaliémie de son patient? Ceci est résumé sur la figure suivante.

Rester hyperkaliémique ou hypokaliémique n’est pas bon en terme de survie. Arriver à corriger la kaliémie est associée à une meilleure survie qu’échouer.

Un dernier enseignement de cet article, pas des moindres, est l’association entre le risque de mort subite et la kaliémie. La courbe n’est pas un U mais on retrouve une relation positive entre valeur de kaliémie et risque de mort subite. Plus la kaliémie augmente plus le risque est important. Je vous rappelle que l’hyperkaliémie ne donne pas de troubles du rythme mais des troubles de la conduction suivi d’une dissociation électromécanique.

Cet article est le premier à analyser la dynamique de la kaliémie et son association avec la survie des patients. Je trouve cette approche vraiment intéressante. Elle ne nous permet pas de dire le potassium tue, mais au moins si nous arrivons à corriger la kaliémie, c’est mieux. Il est malgré tout tentant de penser que les anomalies du bilan potassique ne sont pas neutres sur le cœur. D’autres explications sont possibles, une peur de l’utilisation des médicaments dans le groupe hyperkaliémie, un mauvais état nutritionnel dans le groupe hypokaliémie, une mauvaise adhésion au traitement, etc.

Le message à retenir est simple:

« Dosez le potassium et acharnez vous à corriger la kaliémie. »

Il serait très intéressant de réaliser le même travail chez des patients avec une insuffisance rénale chronique.

Note écrite avec l’aide du superbe album d’Oded Tzur, « Translator’s note ». Je suis un grand fan de ce saxophoniste, ici en très belle compagnie.

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13 réponses à Potassium et insuffisance cardiaque

  1. nfkb (@nfkb) dit :

    J’essaye de mettre mes patients le plus possible sur la normale haute de la kaliémie, avec des arguments physiopath’ (notamment la physio cardiaque) mais là c’est bien plus solide dans ce groupe de patients, j’adore !

  2. dr niide (@docteurniide) dit :

    Je n’ai pas vu dans l’article de données précises sur les traitements après sorties qui sont des facteurs confondants. La question que je me pose est de savoir si les corrections des hyperkaliémies se sont accompagnées d’une majoration des traitements qui étaient transitoirement contre indiqués par l’hyperkaliémie.

  3. Doudou13314682 dit :

    Merci du signalement,travail descriptif incitant à réfléchir calmement sur les cat au long cours 1 les hypokaliémiques à 3 la meilleure stratégie est souvent la minoration du diurétique plus que la supplémentation 2 les ic hyperkaliémiques sont toujours maltraités cf prétexte à minoration des iec ,interruption de la solu 3 la magnésèmie n’est pas dans la besace du cardiologue hors supplémentation systématique dans les tdrV graves
    Le lieu commun sera de dire que la PÊC de l’IC grave nécessite rigueur et adaptation permanentes

  4. Philippe VERHEE dit :

    On veut bien s’acharner mais gros probleme de fiabilité des resultats des Kaliemies faites à domicile( avec et sans garrot…+ transports =delais et conditions etc..)

  5. moustache2017 dit :

    chez des patients isolés, prélevés à domicile par l’infirmière, la fiabilité des dosages de la kaliémie est bien aléatoire…alors quand je vois des chiffres aussi pointus…

  6. Mariecube dit :

    J’ai la même question sur la fiabilité des kaliémies faites à domicile, ou au cabinet infirmier…
    Nous les faisons bien sûr… mais les hyperkaliémies de 4.9 à 5.1 / 5.2 (pour une valeur de labo donnée à 4.5 max..), perso j’ai tendance à ne pas m’acharner… Erreur ?

  7. thomas dit :

    En lisant ton twitt de l’ERA-EDTA, j’ai relu ce joli papier, mais je garde quelques réserves sur l’interprétation :
    • Les auteurs ne décrivent pas comment la kaliémie est mesurée après l’hospitalisation. Les prélèvements à domicile sont vraiment problématiques dans l’interprétation de la kaliémie lorsqu’elle est élevée.
    • Ils n’ont pas ajusté la kaliémie à l’index d’hémolyse (une hémolyse faible (50 mg/dl) augmente la kaliémie de 3%, et une hémolyse importante (500 mg/dl) augmente la kaliémie de 30%. Cela est particulièrement vrai pour les prélèvements réalisés au domicile.
    • Les auteurs détails le compte de lymphocyte pas celui des plaquettes qui peuvent fortement influencer la mesure de la kaliémie notamment dans le sérum.
    • Ils observent une prévalence de l’hyperkaliémie à la sortie d’hospitalisation de 5,6%. Il faudrait que l’on puisse établir si cela est différent par rapport à la population générale. Dans une thèse en région PACA, la prévalence de l’hyperkaliémie en population générale sur une année entière était de 4,35 % pour 15364 patients ayant eu au moins une mesure de la kaliémie.
    • Concernant la mort subite et l’hyperkaliémie, l’intervalle de confiance est très large et rend difficile l’interprétation.
    • Les auteurs rapportent que le groupe hyperkaliémique à significativement moins de Béta-bloquants et d’IEC/ARA2 mais plus d’insuffisance rénale avec une stade supérieur à 3, c’est très intéressant.

    Pour prêter à discussion : D’après ce que l’on sait, une kaliémie anormale, c’est-à-dire se trouvant au-delà de 95% des valeurs mesurées dans la population générale, est de 5,1 mmol/L dans le sérum et 4,5 mmol/L dans le plasma.

    Bref, la kaliémie est un sujet passionnant

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