Un gros avantage quand on a des béquilles dès le troisième jour de ces vacances, c’est que le programme de visites et sportif doit être sacrément revu à la baisse. Ce qui permet de faire d’autres choses surtout quand acte manqué remarquable on a oublié le chargeur de son ordinateur portable loin de son lieu de villégiature.
Alors on lit.
Heureusement, nous avions emporté quelques provisions pour les yeux et les neurones.
J’ai commencé avec « Sur l’eau » de Guy de Maupassant. Un court texte autobiographique racontant un trajet sur la cote d’azur, un témoignage sur la naissance de ce lieu de villégiature et des réflexions sur le monde littéraire et sa solitude. L’écriture de Maupassant est toujours un plaisir.
Je suis tombé sur un petit livre qui trainé à la maison « Rêves de rêves » d’Antonio Tabucchi. J’aime bien Tabucchi et ses jeux avec les frontières de la conscience. Il imagine le rêve d’une personnalité, il suit un ordre chronologique et nous allons de Dédale à Freud. C’est brillant et parfois d’une rare justesse. Un exercice littéraire passionnant et très réussi.
Une lecture de ferry, pour 24 heures de traversée parfait, « Silo génération » de Hughes Howey. La fin de la trilogie, je suis un peu déçu par ce dernier tome. J’avais trouvé le premier vraiment très bon, le deuxième aussi, celui ci est un peu poussif, comme si l’auteur ne savait pas vraiment comment il voulait achever son œuvre. Une fois, la décision prise autour de la page 150, c’est mieux. La fin est cousu de fil blanc, mais l’ensemble reste un bon texte de SF. Si vous appréciez le genre, les personnages sont très attachants et l’intrigue fonctionne bien.
J’aime bien Zulma, je l’ai déjà dit, je le redit. J’aime la politique éditoriale. J’achète les livres sans lire le quatrième de couverture et je découvre faisant confiance au gout de cette formidable maison. J’ai pu découvrir ainsi « Mes seuls dieux » d’Anja Appachana. Ce recueil de nouvelles est remarquable. Des histoires de femmes en Inde, le drame d’être une femme dans ce pays. C’est dur, violent, avec quelques notes d’un espoir ténu. Vous ne pourrez pas lâcher ce livre une fois commencé. Heureusement, entre les viols, morts, avortements, folies, il y a une respiration burlesque avec les aventures d’un rond de cuir fainéant. Une série de miniature au vitriol de l’Inde remarquablement traduit, Anja Appachana est une très grande novelliste. Je vous recommande chaudement cette lecture.
En prévision de ce voyage, après avoir découvert Goliarda Sapienza grâce au feuilleton de france culture, j’ai lu « Moi, Jean Gabin » et « Les certitudes du doutes ». Grand écart entre les deux extrêmes de la vie de cette femme écrivain, le premier relate son enfance un peu folle dans les rues de Catane, le deuxième, la dernière? expérience amoureuse après sa sortie de prison à la fin de sa vie. Les deux textes sont beaux, Goliarda Sapienza a du style, de la classe, un souffle. Quand elle court dans les ruelles au sol noir de Catane, quand elle marche dans Rome se transformant, vous adapter votre respiration à son pas, vous vibrez comme elle. Il y a de la magie dans son écriture. Les deux textes sont des explorations sans concession de nos intérieurs, du grenier de nos âmes. Le premier est jubilatoire comme un enfant de 9 ans, le deuxième est triste comme un être sentant la fin de sa vie arriver. Je suis très heureux de cette découverte. Je vais continuer l’exploration de son œuvre. Comme Anja Appachana, elle montre comme il est difficile d’être une femme dans ce monde d’hommes. Il s’agit de textes importants à lire pour lutter contre la tentation de certains de dire que les hommes sont des victimes des méchantes femmes. Non et non, il y a encore beaucoup de chemin à faire et il ne faut surtout pas baisser la garde. Goliarda Sapienza a toujours voulu avoir le contrôle de son corps, de son esprit contre la dictature, contre le totalitarisme. J’y vois un bel exemple pour les femmes écrasées d’Appachana.
Est ce que je peux passer des vacances sans lire du Carver? Manifestement non, j’ai encore dévoré un recueil, « Parlez moi d’amour », qui reprend des nouvelles pour la majorité déjà lu. Que dire, rien, il faut juste lire Carver pour comprendre pourquoi 28 ans après sa mort, nous voyons un combat pas très excitant pour la présidentielle 2016, entre un homme sans idées et une femme sans charisme, après un président brillant. Ses nouvelles sont sans gras, juste de l’os et du muscle, c’est redoutable. Après certaines vous devez arrêter juste pour reprendre votre souffle. Les femmes sont encore maltraitées, les faibles sont écrabouillés sans vergogne, la folie ordinaire est là. Vous vous y reconnaissez parfois et vous êtes obligés de réfléchir. Un grand auteur qui n’a pas fini de m’impressionner.
Après toute cette noirceur, il fallait une respiration optimiste, joyeuse ce fut « Une comédie humaine » de William Saroyan. Cet écrivain américain trop méconnu est excellent. Ce texte est encore une fois lumineux avec cette croyance chevillée au corps que nous pouvons toujours nous reconstruire après des drames. Il a raison. Ce texte raconte la vie sur la cote ouest, pendant la seconde guerre mondiale d’une famille sans père. Carver a lu Saroyan, j’en suis sur, il y a un souffle identique,l’un solaire, l’autre désabusé, une description de cette Amérique de l’ouest qui est similaire. Ce roman est une expérience, comment vivre avec la mort des gens qu’on aime. Le parti pris est celui de la substitution. J’appelle ça le syndrome de « Qui a peur de Virginia Woolf? ». On comble le vide insupportable de l’absence de l’être aimé soit par la folie de penser qu’il est encore là, soit par une personne. Est ce que nous ne faisons pas que ça, remplacer les absents par d’autres pour combler le vide? Sous son apparente légèreté, c’est un texte grave et profond.
J’ai ensuite enchainé avec les « Suicides exemplaires » de Enrique Vila-Matas. Ce recueil de nouvelles peut être très drôle, il faut avoir un certain gout de l’humour noir. Vila-Matas est un très bon écrivain, aucun doute, Borgésien bien évidement. Il a un talent pour vous faire plonger dans des mondes improbables, dans les âmes les plus noires, un explorateur de nos mauvais sentiments, de nos angoisses, de nos comportements les plus inavouables. Il arrive, avec ce matériau souvent peu reluisant, à montrer combien nous sommes attachés à la vie. Il arrive à nous faire sourire parfois rire quand on voit les situations de ces héros malheureux. Son regard acéré sans concession est profondément humain. Quelques nouvelles sont des bijoux, « Rosa Schwarzer revient à la vie », « Puisqu’on me demande de me présenter », « Nuits de l’iris noir », « Le couple électrique ». Nous sommes toujours aux frontières de la folie avec ces nouvelles. Il s’agit d’une belle expérience littéraire.
J’avais emporté dans ma valise un livre que je ne comptais pas lire. Cette année à Avignon a été monté un truc qui m’insupporte, l’adaptation théâtrale d’un roman, comme si le répertoire n’était pas suffisamment important, passons. Il a été créé un spectacle de 12 heures, 2666. Ma femme a acheté le roman. Je l’ai pris car j’avais écouté une adaptation radiophonique d’une nouvelle de Bolaño, justement à Avignon. « 2666 », c’est 1300 pages, un pavé. J’avais du le prendre pour faire du lest dans le bateau. J’étais arrivé au bout de ma collection de livre. Il restait une semaine. J’ai hésité et je me suis lancé dedans. J’ai plongé dans ce texte, comme j’avais plongé dans Don Quichotte. Le choc littéraire fut le même. Je n’ai pas réussi à le lâcher. Il fallait lire, lire,lire. Bolaño est un auteur majeur. Il a saisi notre monde, il l’a capturé, il l’a digéré et il le met en mots. Il a un style brillant, du grand art, des phrases musculeuses, pas de gras. Les mots sont choisis, ils sont là car ils doivent être là et pas ailleurs. Il y a des auteurs auxquels vous accrochez immédiatement, ce fut le cas comme avec Borgès. J’ai enfin compris pourquoi je n’écrirai jamais. Rien que pour cette révélation, je suis heureux d’avoir lu ce monumental ouvrage. « 2666 », c’est du Cervantès saupoudré de Borgès débordant de poésie. Comme dans le Quichotte les récits s’enchâssent, les histoires se mêlent, chacune étant là pour donner un nouvelle éclairage à l’intrigue principale. Les protagonistes racontent des histoires comme si ils étaient chacun une partie de l’auteur. La trame narrative peut paraitre lâche, elle est en fait d’une rigueur impressionnante. La construction est d’une robustesse formelle qui laisse pantois. « 2666 » est divisé en cinq parties qui comportent en elles des sous histoires avec un foisonnement de personnages incroyables. C’est un roman d’aventure, la poursuite d’un écrivain mythique Benno von Archimboldi. La première partie m’a fait pense à du Lodge, mais un Lodge sous amphétamines. L’histoire du peintre contemporain est un must, le cœur de cette partie des critiques. Bolaño montre le capitalisme dans sa brutalité et sa nudité et comment logique poussée à l’extrême il ne peut que conduire à la folie. Dans cette partie nous découvrons les héros importants de la suite, l’air de rien, vous croyez que vous n’en reverrez pas certains, erreur. La deuxième partie, Amalfitano, est l’histoire d’une fuite, fuir la folie ou la chercher, c’est un résumé des années 80 pour une partie de la jeunesse européenne. Quand vous n’en pouvez plus vous arrivez au frontière du désert à Santa Teresa et vous suspendez à une corde à linge, un livre, juste pour lui apprendre les bonnes manières, mais la littérature est robuste, très robuste. La troisième partie, Fate, encore un Oscar (voici une clé), il sauve la fille, Rosa, d’Amalfitano du mal de Santa Teresa. Errance, hasard, mort, alcool, drogue, sexe, tout s’entrelace, nous quittons définitivement les rives proprettes de l’Europe pour arriver dans la folle violence américaine. La quatrième partie la plus longue, la plus dure, le fil rouge (mauvais jeu de mots, je sais) est la chronique du meurtre de 112 femmes sur une période de quelques années. La description des corps et la courte rubrique nécrologique de ces femmes alterne avec l’enquête policière totalement décousu et peu efficace entrelacé d’histoires d’amour ou de non-amour. Il ne peut pas y avoir de solution unique à cette accumulation de meurtres, sauf une seule, le peu de place faite à la vie humaine des plus faibles, et peut on être plus faible qu’une femme, ouvrière pauvre ou prostituée ou collégienne dans cet endroit entièrement dédié à la production (licite ou illicite) à destination du grand frère américain, en ce début de XXIé siècle, qu’est Santa Teresa. Les femmes sont des objets, objet de jeu pour des tueurs en série, objets de vengeance pour la frustration d’hommes ratés, objet de jalousie se finissant par la mort. Cette partie est un constant terrible sur la condition féminine qui est loin d’être merveilleuse dans notre monde. Ceux qui croient, qu’ils sont des mâles castrés par des méchantes femmes, devraient lire ce texte. Il donne effectivement très envie de couper les attributs de pas mal de mecs. La dernière partie, retour en Europe, qui est Benno von Archimboldi? Vous allez enfin le savoir. Vous allez savoir où est nait la folie qui irrigue Santa Teresa et le monde, ici dans notre continent policé et cultivé, au cœur du XXé siècle. Cette dernière partie, vous voudriez qu’elle ne finisse jamais, vous aimeriez qu’il vous raconte encore et encore les aventures de ces personnages traversant ce siècle de violence et de mal. Que dire, du talent, du travail, encore des personnages, encore des histoires qui nourrissent la trame narrative. Tout se met en place, tout s’agence, mais il reste un mystère, car la grande littérature nous laisse combler les interstices, le livre n’appartient plus à l’auteur mais au lecteur, au lieu, aux conditions de la lecture, au moment. J’ai particulièrement aimé sa version de Sisyphe, père d’Ulysse et rusé des rusés trompant même la mort, bien loin du personnage philosophique un peu triste de Camus. J’ai lu ces 1300 pages d’une traite, je vous conseille cette lecture de 2666, immersion totale, formidable expérience, je sais que je le relirai, mais cette fois ci en picorant.
Durant la remontée de la botte, j’ai lu « la vie en cinquante minutes » de Benny Barbash, après 2666, le début fut un peu fade, en fait c’est un excellent roman. 300 pages d’association libre qui résume la vie affligeante d’une femme en Israël. Le parti pris de la faire raconter sur le divan à nous mais pas à son analyste est assez bien trouvé. Une autre vision de la condition féminine qui ici s’enferme seule comme une grande. Pour tout ceux qui ne comprennent pas comment on devient radical dans ses choix religieux, ils devraient lire cet ouvrage. Malheureux mélange de pression sociale et névrose personnelle, tout le monde ne s’appelle pas Goliarda Sapienza. Une lecture d’une actualité brulante en ces moments où certains d’une façon ou d’une autre veulent maitriser le corps des femmes. Le père Freud était loin d’être une cloche.
Arrivé en France, j’ai enchainé avec « le gaucho insupportable » de Bolaño, des nouvelles et deux conférences. Une illustration courte de son talent, la nouvelle éponyme est formidable, quand les monthy python débarque dans la pampa, le monde est fou mais réjouissant bien que toujours un peu inquiétant. Le « policier des souris », une réflexion brillante sur le meurtre et l’origine du mal est la plus forte des nouvelles. Des deux conférences, celle intitulée » Littérature + maladie = maladie » devrait être une lecture obligatoire pour toute personne désirant être un jour un soignant. Ce texte est profondément masculin. Il est mort trois semaines après avoir donné le manuscrit à son éditeur.
J’ai fini mes vacances, après avoir lu, une italienne, une indienne, des américains, un chilien, un espagnol, un israélien, avec un français bien de chez nous Jacques Rebotier et son génial « Contre les bêtes ». Une lecture jubilatoire sur nous et notre rapport aux animaux, aux autres, une lecture inégalable au cœur de notre anthropocène, ère géologique qui risque d’être courte. Pour vous donnez envie, le mieux est de faire gouter.
« Certains s’étonneront peut être que l’omme propose à l’admiration de ses enfants des animaux même qu’il s’applique à massacrer. L’amour est plein de ces mystères… Pourtant, examinant les étiquettes, on constatera avec bonheur que ces animaux destinés à des enfants de moins de sept ans sont fabriqués par des enfants de moins de huit ans.
Tout est ordre, schizophrénie, harmonie. »
J’ai découvert Rebotier grâce à l’excellent Jacques Bonnaffé que j’écoute à la fin de la meilleure émission de France culture en ce moment « la compagnie des auteurs ». Ce qui tombe bien car la semaine prochaine ce sera une semaine portant sur Roberto Bolaño.
Si vous cherchez un truc très bien à écouter en ce moment, petit conseil d’ami, le dernier Dhafer Youssef, Diwan of Beauty and Odd.
depuis la lecture de 2666, j’utilise ce pseudo ; je ne sais pas ce qu’a donnée l’adaptation théâtrale. Derniere partie magique dans l’écriture, et la construction. Si vous ne l’avez pas encore dévoré, les détectives sauvages pourraient vous plaire – euphémisme en ce qui me concerne. Bonne recuperation
Les détectives sauvages sont dans ma pile.