Outils et usages, une éternelle question

J’écoute régulièrement, je le concède dès qu’il sort dans mon lecteur de podcast, l’excellent Xavier de La Porte et son code a changé. Toutes les émissions sont remarquable avec des invités qui connaissent leur sujet et un interviewer toujours pertinent. Je vous conseille si ce n’est pas déjà fait d’écouter toutes ces émissions. Elles tracent un passionnant panorama de notre mode numérique si réel, si peu virtuel, et posent des questions vertigineuses sur le digital, que ce soit ses infrastructures (une histoire de pylône juste hallucinante), ses outils et ses usages. Si vous voulez un peu mieux comprendre ce monde où vous êtes immergés, il faut les écouter.

La dernière sur la soit disant fabrique des crétins digitaux est indispensable pour tous ceux qui ont des ados à la maison connecté 18h sur 24h et qui avec le courant mainstream réactionnaire s’inquiète pour les neurones de leur progéniture. Personnellement, j’ai arrêté il y a bien longtemps de me battre sur ce sujet, sauf pour les repas. Les raisons? Je me souviens à leur age passer un temps infini à regarder des séries débiles à la télévision et à lire de la SF. Ce temps que l’ensemble de la société voyait comme gâché m’a construit avec mes défauts et mes qualités, ne m’a pas empêché de faire des études et de m’intéresser à d’autres choses. Je suis même sur que la télévision a entretenu ma curiosité. J’aime toujours autant la SF et plus du tout les séries, probablement depuis qu’elles sont devenues intelligentes. J’ai du mal à reprocher un comportement que j’avais. Une seconde raison est ma consommation d’écran qui peut être vu comme non raisonnable par certains. Depuis que j’ai découvert internet dans les années 90, j’ai passé là aussi un temps infini à me balader sur les réseaux et à perdre beaucoup de temps dans des contenus pas forcément très utiles. J’ai ainsi du mal à reprocher un comportement que j’ai. J’ai un grand amour de la déambulation ou de la flânerie, aussi bien dans la rue que dans les réseaux.

Cette émission a conforté mes opinions sur le sujet. Nous reprochons à nos enfants certains comportement sans balayer devant notre porte comportementale. Il est bien plus facile de voir le cristal de silicium dans l’œil de l’autre que l’écran plat de 30 pouces dans le sien. Je vous conseille vraiment cette écoute. Je me demande si ce qui nous gêne chez les adolescents et les jeunes adultes ce n’est pas juste de voir nos propres habitudes que nous ne trouvons pas reluisantes.

Ce qui m’a le plus passionné et fait réfléchir, c’est la question des usages de l’outil. Ça rejoint le bruit de fond permanent, si la démocratie va mal, c’est les réseaux, si il y a des terroristes, c’est les réseaux, si le complotisme fleurit, c’est les réseaux, etc. Loin de moi l’idée de dire que les réseaux et leurs algorithmes n’ont pas une part de responsabilités dans l’amplification de ces phénomènes mais ceux ne sont que des caisses de résonances. Les réseaux n’inventent pas la violence, le refus de la réalité, l’absence de débat, les propos injurieux, etc. Ceux sont des humains derrière leurs écrans qui produisent la merde qui se déverse à flot, mais aussi les contenus formidables accessibles facilement pour le plus grand nombre. Accuser l’outil, en tenant compte qu’il modifie probablement nos processus mentaux, imaginons la bascule de l’oral pur à l’écrit, est trop facile. Il permet juste de nous dédouaner sur d’autres de nos responsabilités individuelles.

Nous sommes comme des enfants jouant avec des allumettes, c’est joli le feu, mais ça peu faire aussi très mal. Nous apprenons, soit par la transmission, en écoutant papa et maman, soit par l’expérience, en nous brûlant les doigts ou la frange, que le feu c’est bien pour cuire ses brocolis moins pour se transformer en steak. Avec les réseaux, c’est pareil. Il est de notre responsabilité d’apprendre à nos enfants à les utiliser, à gérer leur identité, à faire attention à ce qu’il poste, non la liberté d’expression n’est pas la liberté d’insulter les autres, mais en fait cela ils l’ont probablement déjà appris par la pratique et l’échange avec leur pairs. C’est bien souvent nous qui devrions faire plus attention à l’exemple des instamumms.

Je reste convaincu que ce qu’on a appelé l’informatique est un formidable outil. Je ne retournerai pour rien dans le monde d’avant sans internet. Comme tout outil, il faut le maîtriser. Est ce qu’on interdit les automobiles car il y a des chauffards? Il faut le réguler et empêcher des lieux de non droit total. Le code de la route est indispensable pour éviter que la mort ne se trouve à chaque croisement. Il faut des règles pour protéger les plus faibles. Oui la ceinture de sécurité à l’arrière c’est utile pour sauver des vies. La binarité du débat, les digital natives sont extraordinaires ou la génération internet c’est tous des ignares est profondément débile. Ceci dédouane certains de se pencher sur les usages des outils et in finé sur les causes du malaise. Nous devons faire sur la technologie un travail de sciences sociales. Nous devons sur les problèmes non pas utiliser un seul point de vue mais multiplier les angles pour saisir la réalité du phénomène. L’objet technologique est un objet total, car nous sommes des animaux hautement technologique. Notre supériorité passe avant tout par les outils que nous avons produit. Nous sommes des animaux profondément sociaux, ne serait ce que dans l’importance que nous donnons consciemment ou pas à l’éducation de nos petits. Ces deux caractéristiques indéniable de homo sapiens, font que nous ne pouvons pas explorer une dimension sans nous penchez sur l’autre. Si la psychanalyse s’est perdue toute seule en niant les neurosciences. Les neurosciences se planteront lamentablement si la dimension sociale n’est pas prise en compte. La transdisciplinarité est sur le sujet capital et devrait être la règle dans toute demande de financement.

Nous pourrions tout à fait appliquer ça à la médecine. Nier la dimension sociale de la santé est une grande connerie, mais faire de la santé uniquement un fait social en niant sa profonde dimension biologique est aussi absurde. La médecine, dans le sens où elle s’intéresse à la santé humaine et en gardant en tête qu’elle n’est pas la seule à s’y intéresser et à être importante, se doit d’être une science totale qui fait se rejoindre des questions de biologie fondamentale, comment un virus rentre dans une cellule, et des questions de sciences sociales, comment faire pour que des individus portent un masque dans des espaces clos, si il n’y a pas de lien entre les deux, vous ne pourrez pas bien prendre en charge une maladie infectieuse transmise par les voies aériennes. Dans sa production des savoirs, elle doit appliquer les principes de la recherche scientifique avec ses standards qui depuis 200 ans ont fait la preuve de leur efficacité. Dans l’usage des savoirs médicaux, et encore une fois en gardant en tête qu’il s’agit comme toute science d’un « work in progress », le médecin doit absolument tenir compte de la situation à laquelle il est confronté et de l’applicabilité de son super traitement dans une situation donnée. Tenir compte de la dynamique des individus dans leur acceptabilité d’une approche thérapeutique est capital. Ce n’est pas parce que l’on vous dit non maintenant, que demains ce non ne se transformera pas en peut être et après demain en oui. Le rôle du médecin est d’accompagner ces évolutions sans enfermer le patient dans une case dont il ne pourrait plus sortir car il est rassurant que celui qui a le pouvoir me dise qui je suis. Notre rôle est de comprendre pourquoi ce non qui nous parait si irrationnel. Nous demandons souvent de la confiance. Le meilleur moyen de l’avoir est de commencer par faire confiance à la personne en face de nous et qui vient avec une plainte. Cette confiance est souvent implicite parfois elle a besoin d’une formalisation en disant: « Je crois en ce que vous me dites. » Nous devons dépasser nos préjugés, nos présupposés et par le dialogue trouver un point de rencontre tenant compte des données de la science et des préférences de l’individu. C’est ça la médecine basée sur les preuves. Ce qui est sur c’est que la médecine n’est pas un art, peut être un artisanat, mais pas un art. Méfiez vous des médecins qui se prennent pour des artistes, ils sont dangereux. L’artiste a toujours raison dans sa création car c’est lui le créateur. Le médecin n’a jamais rien créé, ce n’est qu’un mécano qui n’a pas le mode d’emploi complet de la machine à laquelle il est confronté. Il n’est pas un artiste. Juste une honnête artisan qui s’appuie sur son savoir et comme tout bon scientifique, il sait que son savoir peut être remis en cause par une découverte qui remettra en cause certaines de ses convictions même quand ces nouvelles données bouleversent sa vision d’une maladie ou d’une approche thérapeutique. En ce sens, l’apprentissage de la médecine doit passer par l’apprentissage des sciences.

Cette émission conforte mon idée que c’est dans la diversité culturelle scientifique que nous trouverons des solutions à nos questions.

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