Rêves de Goya

Je suis étonné quand deux livres, lus successivement et qui n’auraient pas du l’être, ont un sujet commun, ici Goya. Je ne devais lire à la fil ces deux ouvrages, en déplacement, je n’en avais pas choisi un. L’intrus se trouvait depuis un bon mois au fond de mon sac où je l’avais oublié. En le vidant, je l’ai retrouvé et plutôt que d’attaquer le deuxième ouvrage que je comptais lire, j’ai été attiré par la jolie couverture unie de l’inattendu. On insistera jamais assez sur l’impact des couvertures dans nos choix de lecture mais c’est une autre histoire.

Le premier livre est un recueil de nouvelles de Ivo Andric, « L’éléphant du vizir ». Il s’agit du deuxième recueil de nouvelles que je lis de cet auteur nobélisé. J’avais été emballé par « Les contes de la solitude », depuis quand je rentre dans une librairie je cherche un recueil d’Andric. Celui ci est encore très, très bien et me conforte dans l’idée que le yougoslave est un très grand auteur. La sixième nouvelle s’intitule « Entretien avec Goya », le narrateur en voyage dans la bonne ville de Bordeaux, à la fin d’une journée de 1928, dans un café, découvre Goya assis à sa table. Il va faire un long monologue sur la création et sur l’importance de la simplicité. Le discours de Goya est fascinant fait de théories et d’anecdotes. Son idée du portrait est bouleversante. L’importance de serrer toujours plus l’ouvrage explique sa peinture et l’écriture d’Andric. Arrive la fin du monologue, « Oui, toute pensée grande et noble est un étranger qui souffre. Oui, l’art est nécessairement triste, la science nécessairement pessimiste. » Goya se lève, s’en va. Le narrateur le poursuivra, reviendra sur le lieu le lendemain pour le questionner mais trop tard. Le moment est achevé. Dans ce texte, il y a un cirque comme dans la nouvelle qui m’avait le plus ému des contes de la solitude. J’aime bien le cirque.

Le deuxième livre est d’une brillante autrice française Muriel Pic. Je ne peux que vous conseiller ses « élégies documentaires » un formidable recueil de poésie commençant par un lieu hallucinant, qui annonce les futurs camps de vacances de la seconde moitié du XXé siècle, un lieu de villégiature pour nazis méritant sur l’ile de Rügen. Le livre que je viens de finir est publié chez un excellent éditeur Héros-Limite. Il s’intitule « Dialogues des morts sur l’amour et la jouissance ». Enthousiasmant, c’est intelligent, drôle, profond et forcément triste. Après les neufs dialogues, il y a une série de courts textes qui racontent des rêves, la maison de poussière. Le huitième est « Rêve du chien de Goya ». Un rêve d’enlisement, elle décrit remarquablement ce qu’on peut ressentir en regardant cette œuvre. L’impression de se noyer dans l’ocre et le marron comme le corps de l’animal dont il ne reste que la petite tête noire. Le tableau a été peint sur le mur d’une maison, je me demande si c’est là où vivait la Rosarita d’Andric. Goya a quitté le chien peint en 1823 pour aller finir ses jours à Bordeaux. Le narrateur dans son désir de retrouver Goya finit par s’enliser dans la foule devant le cirque. Il est troublant de voir comment le rêve de Muriel Pic dialogue avec le narrateur d’Andric.

Le plus étonnant ou pas est que Goya chez Andric raconte une histoire de rêve. Comment un mot vu dans un rêve « Mors » sera l’amulette qu’il peindra sur un tout petit espace épargné par ses peintures murales d’une période hautement anxieuse, huit ans plus tard. Je ne sais pas si l’anecdote est vraie ou si Andric invente, encore une histoire d’enlisement et de rêve.

La question qui vient forcément est de savoir si Muriel Pic a déjà lu ce texte d’Andric ou si c’est seulement la sensibilité des artistes qui éprouvent la même chose devant un autre très grand artiste. Je suis ému par ces rencontres littéraires hasardeuses. Il y a quelque chose du réalisme magique dans cette histoire.

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Une réponse à Rêves de Goya

  1. docdu16 dit :

    Merci pour ces conseils de lecture.

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