La néphropathie méso-américaine ou un peu de néphrologie émergente

Je vous ai déjà un peu parlé de l’épidémie de maladie rénale chronique qui touche l’Amérique centrale et d’autres régions du globe. Un article récent dans le monde en parle et un reportage sur le site de la cité des sciences l’accompagne. En pratique nous ne savons toujours pas pourquoi ces paysans mais aussi mineurs développent une MRC qui les conduit à la mort ou si ils ont de la chance en dialyse. J’ai toujours autant de doutes sur le fait que la déshydratation seule soit la cause de ce drame. Je ne demande qu’à être convaincu. Je regrettais que nous n’ayons pas d’histologie à notre disposition. La présentation clinique des patients évoque une atteinte tubulo-interstitielle chronique, pas d’hypertension artérielle, petite protéinurie, insuffisance rénale chronique, encore fallait il le prouver.

Une équipe suédoise a publié un article fort intéressant sur la néphropathie meso-américaine cet été. Il s’agit des premiers résultats d’histologie rénale chez des patients atteints.

  1. Wijkström, Julia, Ricardo Leiva, Carl-Gustaf Elinder, Silvia Leiva, Zulma Trujillo, Luis Trujillo, Magnus Söderberg, Kjell Hultenby, et Annika Wernerson. « Clinical and Pathological Characterization of Mesoamerican Nephropathy: A New Kidney Disease in Central America ». American Journal of Kidney Diseases. Consulté le 25 septembre 2013. doi:10.1053/j.ajkd.2013.05.019.

Huit hommes, tous travaillant dans des plantation du Salvador, présentant une suspicion clinique de néphropathie mésoaméricaine ont été biopsiés du rein. Leur age va de 22 à 57 ans, il y a un père et son fils. Ils sont tous normotendus au moment de la biopsie, un seul a un antécédent d’HTA. Ils ont tous un travail physiquement difficile, ils boivent en moyenne près de 4 litres d’eau par jour. Nous n’avons malheureusement pas leur apport sodé.

Ils consomment pas mal de médicaments en particulier des AINS (5/8 de façon hebdomadaire), et pour 5 des préparations à base d’herbes médicinales.

Au niveau biologique, un résultat est très étonnant. 6 patients sur 8 ont une hypokaliémie, malheureusement nous n’avons pas la kaliurèse ni la magnésémie. Il est très étonnant de retrouver une hypokaliémie parfois importante, 4 patients avec moins de 3 mmol/l, au cours d’une insuffisance rénale chronique, surtout quand on prend de façon régulière des AINS. Un oubli regrettable est l’absence de réserve alcaline, qui nous aurait permis d’évoquer une acidose tubulaire associée à la néphrite interstitielle chronique. Pour le reste, un seul patient avait une protéinurie significative, par contre ils ont tous des marqueurs de lésions tubulaires augmentées dans les urines (N-Gal et alpha1 microglobulin). Trois ont des fonctions rénales peu altérées autour de 60 ml/mn et les autres ont tous un DFG<40 ml/mn.

L’histologie rénale, microscopie optique, électronique et IF, met en évidence une atteinte tubulo-interstitielle marquée, ce qui était attendu, mais de façon plus surprenante un niveau relativement important de glomérulosclérose avec en électronique des podocytes vacuolisés traduisant leur souffrance, le secteur vasculaire est globalement épargné. Il faut noté que la glomérulosclérose touche plus de 50% des glomérules chez deux patients avec un DFG autour de 60 ml/mn. Il ne semble pas y avoir d’inclusions virales dans les cellules tubulaires, et pas d’aspect évocateur d’intoxication au plomb.

Ce papier n’apporte aucune explication à cette néphropathie. Il y a, contre toute attente, une agression glomérulaire ne se traduisant pas par une protéinurie. La glomérulosclérose peut se voir dans toute néphropathie évoluée. Ici elle existe même chez des patients avec une atteinte peu sévère. La présence d’inclusions podocytaire, l’hypokaliémie me conforte dans l’idée qu’il y a une part toxique à la base de cette maladie. J’ai toujours autant de mal à croire que des épisodes de déshydratations répétées seules puissent donner une insuffisance rénale chronique. Ces patients prennent beaucoup de choses, AINS, remèdes traditionnels. Il faudra aussi, un jour, démontrer qu’ils ont des épisodes de déshydratations cliniques répétées. Aucune preuve n’a jamais été apportée sur ce point. Il n’est pas très difficile pendant un mois d’évaluer leur apport hydro-sodé, leur fonction rénale et ce qui se passe dans les urines alors qu’ils font des efforts.

J’espère que d’autres biopsies seront réalisées pour confirmer ces premières données et nous aider à mieux comprendre cette néphropathie qui reste mystérieuse et atypique tant dans sa présentation anatomo-clinique que pour ses origines. Plus de données cliniques et biologiques me semblent aussi indispensables.

L’histoire de cette nouvelle entité ne fait que commencer. Elle a des implications importantes. Si l’hypothèse déshydratation est retenue, il va falloir revoir ce que nous enseignons aux étudiants, comme quoi l’insuffisance rénale aigue fonctionnelle n’a pas de conséquences à long terme. Avant de changer mes diapositives, je vais attendre que M Johnson publie son article. Vous pouvez lire ce news and views récent de NRN qui défend cette cause. Les maladies rares sont passionnantes, les maladies fréquentes des pays défavorisés sont aussi importantes à comprendre pour ses populations et pour nous. Le dernier prix Lasker pourrait investir un peu dans le sujet, pour que ces futurs toilettes révolutionnaires soient utiles.

Note rédigée avec l’aide de daniel Darc. La dernière chanson est superbe.

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4 réponses à La néphropathie méso-américaine ou un peu de néphrologie émergente

  1. nfkb (@nfkb) dit :

    pardonne moi, je vais faire des raccourcis physiopathologiques grossiers

    – on sait que le tubule et glomérule « communiquent »
    – est-ce qu’une maladie tubulo-interstitielle qui se chronicise peut impacter le glomérule ?
    – un peu comme une sclérose de désafférentation

    quid

    merci pour ta réponse et bon concert !

    • PUautomne dit :

      Toute maladie rénale chronique va progresser vers une fibrose de tout les secteurs à terme. Bien évidement c’est ce qui se passe peut être ici. Il me semblait l’avoir dit dans la note. Le truc bizarre c’est les inclusions dans le podocyte et le fait que la glomérulosclérose apparaissent très précocement apparemment. C’est pour ça qu’il faudrait plus de biopsies…

  2. Anne dit :

    Merci de suivre cette affaire pour nous. Effectivement, pas grand monde n’en parle.
    j’avais lu un papier ( presse anglaise, pas médicale ) parlant de pesticides possibles ( mais sans preuves, l’affaire ne faisait que commencer )

  3. Ping : Boire ou ne pas boire ? Telle est la question… | PerrUche en Automne

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